Le proton, l’un des constituants majeurs de la matière, est composé de particules élémentaires — les quarks, liés entre eux par les gluons. Les quarks sont donc confinés à l’intérieur des protons grâce à l’interaction nucléaire forte. Comprendre ce confinement est primordial car il est à l’origine de la stabilité du proton. Des physiciens ont franchi une nouvelle étape, en mesurant pour la première fois la pression régnant entre les quarks d’un proton.
Les protons sont des particules composites appelées « hadrons », c’est-à-dire des particules elles-mêmes composées de particules élémentaires, les quarks. Plus précisément, ce sont des « baryons », des particules composites constituées de trois quarks. Ceux-ci sont constitués de deux quarks « up » (charge électrique +2/3) et d’un quark « down » (charge électrique -1/3), ce qui en fait donc une particule chargée positivement. Ces quarks sont maintenus ensemble par l’échange de bosons, les gluons, qui sont les médiateurs de l’interaction nucléaire forte.
Avec le développement de la chromodynamique quantique (la théorie quantique décrivant l’interaction nucléaire forte) et ses modélisations numériques, les physiciens ont commencé à mieux comprendre la structure interne des hadrons et la manière dont les quarks sont agencés. Cependant, au regard de la nature extrêmement complexe de l’interaction forte, la dynamique hadronique reste encore peu contrainte et de nombreuses propriétés de la relation quark-quark échappent encore aux scientifiques. L’une de ces propriétés est l’existence d’une pression distribuée entre les quarks, empêchant ceux-ci de s’effondrer au sein du proton. Des physiciens du Thomas Jefferson National Accelerator Facility (USA) ont mesuré pour la première fois cette pression. Les résultats ont été publiés dans la revue Nature.
L’énergie et l’impulsion des quarks sont décrites par les « facteurs de forme gravitationnelle », c’est-à-dire des éléments de la matrice du tenseur énergie-impulsion (principalement utilisé en relativité générale). À l’échelle subatomique, la gravité est extrêmement faible et presque totalement masquée par les autres interactions fondamentales. Toutefois, en 1966, le physicien américain Heinz Pagels publie un article dans lequel il montre que le champ gravitationnel à l’intérieur d’un proton peut être affecté par l’énergie et l’impulsion des quarks, tout en rappelant qu’au regard de la faiblesse de la gravitation face aux autres interactions, toute vérification expérimentale serait exclue.
Néanmoins, les physiciens sont parvenus à contourner ce problème en modifiant le cadre théorique développé par Pagels, en démontrant une connexion entre l’interaction électromagnétique et les facteurs de forme gravitationnelle. En d’autres termes, ils ont montré que l’interaction entre des électrons et des quarks pouvait servir de test expérimental à l’hypothèse de Pagels. « C’est la beauté de la chose. On a cette carte incomplète que l’on croit ne jamais pouvoir compléter, mais nous y sommes, en la complétant grâce à cette preuve électromagnétique » explique Latifa Elouadrhiri, physicienne au Thomas Jefferson National Accelerator Facility, et auteure principale de l’étude.
Pour ce faire, les physiciens ont utilisé la diffusion Compton virtuelle profonde ; c’est une extension hadronique de la diffusion Compton, qui est un phénomène décrivant la diffusion d’un photon par une particule chargée. Dans ce cas-ci, les scientifiques ont accéléré des électrons à très haute énergie afin de réduire leur longueur d’onde pour qu’ils pénètrent plus profondément dans le proton. Puis, ils ont bombardé le proton avec ces derniers dans le but d’étudier la façon dont l’énergie et l’impulsion des électrons sont transférés aux quarks. Ensuite, ils ont combinés les mesures effectuées sur les photons émis par les quarks, sur les électrons diffusés et sur le mouvement de recul du proton.
Ces données ont permis aux chercheurs de cartographier la répartition énergie-impulsion des quarks et de calculer la distribution de pression exercée par ces derniers au centre du proton, dans un espace confiné d’environ 0.6 femtomètres. Les auteurs ont ainsi déterminé une pression de 1035 pascals, soit 10 fois la pression retrouvée au coeur des étoiles à neutrons. La prochaine étape pour les physiciens, en continuant d’utiliser cette technique, sera de calculer les différentes forces à l’oeuvre dans le proton, ainsi que de déterminer précisément la distribution spatiale et la dynamique des quarks.