Une étude révèle que les changements dans la structure des communautés de foraminifères peuvent permettre de prédire les extinctions de masse. Présentes dans nos océans depuis des centaines de millions d’années, ces communautés planctoniques présenteraient des signaux d’alerte précoces précédant les événements de stress environnemental majeurs conduisant à des extinctions massives.
Les foraminifères constituent une vaste communauté de plancton unicellulaire à coquille dure, extrêmement abondant dans nos océans depuis des centaines de millions d’années. Cela leur confère un rôle majeur à la fois dans la chaîne alimentaire de la biodiversité marine et en tant qu’archives paléontologiques.
De précédentes études ont mis en évidence que les changements dans l’aire de répartition et le fonctionnement de la biodiversité sont fortement corrélés aux changements climatiques au cours des différents éons géologiques. Plus précisément, la répartition de la biodiversité le long des latitudes terrestres (gradient de biodiversité latitudinale, ou GLB) n’est pas statique au fil des temps géologiques et reflète leurs réponses adaptatives aux changements environnementaux.
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De plus, contrairement au GLB terrestre, le GLB marin moderne couvre de vastes régions océanographiques et culmine au niveau des tropiques. Les archives fossiles de foraminifères ont montré que le GLB marin moderne a probablement été établi il y a environ 15 millions d’années. Avant cette période, leur distribution ainsi que celle de la biodiversité marine dans son ensemble était radicalement différente. Ils pourraient ainsi fournir de précieux indices sur la manière dont la biodiversité marine réagit au changement climatique.
Une étude codirigée par l’Université du Texas a par exemple montré que la période de refroidissement survenue au Cénozoïque supérieur a restructuré les communautés de plancton au niveau mondial au cours des 15 derniers millions d’années. Dans le cadre d’une nouvelle recherche récemment publiée dans la revue Nature, les mêmes chercheurs ont analysé des données fossiles de foraminifères pour étudier leur répartition au cours des réchauffements climatiques passés.
« Nos travaux offrent de nouvelles perspectives sur la manière dont la biodiversité réagit spatialement aux changements climatiques globaux, en particulier pendant les périodes de chaleur globale, qui sont pertinentes pour les projections de réchauffement futur », explique au The Harvard Gazette l’auteur principal de la nouvelle étude, Anshuman Swain, de l’Université Harvard, de l’Université du Maryland et du Musée national d’histoire naturelle de Washington.
Des signaux d’alerte précoces d’extinction de masse
Pour effectuer son analyse, l’équipe de recherche a utilisé la base de données mondiale à haute résolution Triton, spécialement développée pour retracer la composition des communautés de foraminifères sur une période de plusieurs millions d’années. « La nature détaillée de l’ensemble de données Triton permet une vue spatio-temporelle unique de la macroévolution pélagique du Cénozoïque », expliquent les chercheurs dans leur document.
Le groupe s’est concentré sur l’optimum climatique qui s’est produit au début de l’Éocène. Il s’agit de la dernière grande période de réchauffement planétaire prolongée depuis l’époque des dinosaures et est analogue aux pires scénarios d’élévation des températures mondiales.
Ils ont constaté qu’avant une extinction massive survenue il y a environ 34 millions d’années, les communautés de foraminifères étaient devenues hautement spécialisées dans la plupart des océans, excepté au niveau des hautes latitudes méridionales. Cela signifie que ces planctons ont migré massivement vers des latitudes plus élevées et loin des tropiques. Selon les chercheurs, cette spécialisation accrue serait due à des températures équatoriales non adaptées à leur fonctionnement biologique et aux changements dans la circulation des courants océaniques au cours de la transition entre l’Éocène et l’Oligocène (il y a 34 millions d’années).
Ces résultats suggèrent que les changements observés dans ces schémas de migration sont apparents dans les archives fossiles, bien avant que les pertes de biodiversité ne se produisent. La détection de ces signaux pourrait ainsi servir d’alerte précoce en prévision des scénarios d’extinction futurs liés au réchauffement climatique. Ces changements pourraient en effet avoir des implications directes non seulement pour les communautés de plancton, mais également sur l’ensemble des ressources marines, à mesure que le réchauffement d’origine anthropique se poursuit. Il est important de savoir que la survie d’une grande partie de la biodiversité marine dépend du plancton.
Par ailleurs, en vue de leur rôle écologique majeur pour la biodiversité marine, les experts estiment que ces nouvelles données pourraient aussi ouvrir la voie à des enquêtes sur d’autres groupes d’organismes marins. Cela pourrait améliorer considérablement la précision des modèles de prédiction des impacts du réchauffement climatique.