Débuté en 2007, impliquant un budget de 20 milliards d’euros et réunissant l’expertise de 35 pays, ITER est un projet de réacteur à fusion nucléaire expérimental de type tokamak basé en France. Depuis plus de dix ans, la collaboration essuie de nombreuses critiques concernant l’accumulation de retards et le dépassement important du budget qui était initialement de 5 milliards d’euros. Mais récemment, le projet a franchi une étape importante de son évolution : l’assemblage du réacteur a commencé. La revue Science a interrogé le directeur général d’ITER, Bernard Bigot, sur le début de cet assemblage dans le cadre difficile du CVID-19.
Le projet ITER de 20 milliards d’euros, visant à construire le plus grand réacteur à fusion au monde et à démontrer enfin que la fusion des noyaux d’hydrogène est une source d’énergie viable, a franchi une étape majeure alors que les équipes de construction ont mis la première pièce majeure du réacteur en place.
Un début d’assemblage pour un allumage du réacteur d’ici 2025
En 2 jours, une équipe d’environ 200 personnes a soigneusement soulevé la base du cryostat, un plateau en acier aussi grand qu’un terrain de baseball et pesant autant qu’un séquoia géant, dans la fosse à tokamak près de Cadarache en France. La base du cryostat — le composant du tokamak le plus grand et le plus lourd — est la section inférieure d’une énorme boîte métallique qui contiendra le reste du réacteur, y compris la cuve à vide, d’énormes aimants supraconducteurs et des systèmes de refroidissement.
L’équipe ITER est en course pour assembler tous les principaux composants d’ITER sur place d’ici la fin de 2021, afin de respecter la date limite de décembre 2025 pour la mise sous tension de la machine. ITER est en gestation depuis longtemps. Imaginé à l’origine dans les années 1980, il a été inauguré en 2007 comme un projet international basé en France et compte désormais sept partenaires : la Chine, l’Union européenne, l’Inde, le Japon, la Corée du Sud, la Russie et les États-Unis.
La poursuite des travaux dans le cadre de la pandémie de COVID-19
Prévu à l’époque pour être achevé en 2016 pour un coût de 10 milliards d’euros, un examen approfondi en 2016 sous la direction du nouveau directeur général Bernard Bigot a repoussé l’échéance et le budget. Puis, alors que le projet approchait de la barre des 70% cette année, la pandémie de COVID-19 a émergé. Contrairement à la plupart des grands centres scientifiques du monde, la décision a été prise de poursuivre la construction.
Le processus de construction, qui implique des centaines de fournisseurs dans les États membres du monde entier qui sont tenus de livrer des composants exactement au bon moment, s’effondrerait s’il était contraint de s’arrêter et de redémarrer. La plupart des 2000 employés de bureau ont été renvoyés chez eux pour le télétravail et ceux sur le chantier ont été réduits de 2500 à 700 travailleurs essentiels.
Bien que la construction se soit poursuivie, les retards se sont ajoutés au calendrier déjà serré. Le mois prochain, le Conseil ITER, qui représente les États membres, se réunira — très probablement à distance — et Bigot demandera de prendre des décisions difficiles. La revue Science s’est ainsi entretenue avec Bigot concernant le projet.
Q : Quel est l’état de l’installation de la base du cryostat ?
R : Nous avons commencé à 7 heures du matin mercredi et vérifié que tout était sous contrôle. La base a été soulevée au-dessus du dernier étage du bâtiment tokamak pour s’abaisser à l’intérieur. Ce fut un exercice incroyable avec une très grande précision, et il s’est bien déroulé jusqu’à présent.
Comment vous sentez-vous d’être finalement arrivé au début de l’assemblage du tokamak ?
Lorsque vous travaillez depuis des années et des années sur quelque chose et que vous voyez que cela commence à devenir réel, vous ressentez un peu d’excitation. Vous sentez également votre responsabilité : avec la confiance de tant de personnes, vous vous sentez très responsable. Les choses progressent comme prévu. Avec l’accueil des bobines de champ toroïdal (des aimants supraconducteurs de 17 mètres de haut), nous nous sentons de plus en plus confiants sur notre stratégie. Mais il reste encore beaucoup à faire.
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Quelle est la prochaine étape de l’assemblage ?
Vient ensuite le cylindre (cryostat) inférieur. C’est une boîte et elle doit être soudée à la base, ce qui sera très difficile et se terminera en juillet. Ensuite, nous recevrons des composants pour commencer l’installation de la cuve à vide. Le secteur six arrive de Corée du Sud fin juillet et les bobines toroïdales 12 et 13 du Japon sont maintenant en mer et arriveront à la mi-juin. Nous devons assembler ces trois pièces avec leur blindage thermique. C’est le principal objectif des prochains mois.
Comment ITER a-t-il réussi à continuer de progresser pendant le confinement lié au COVID-19 ?
Nous y avons fait face assez tôt. La Chine est un partenaire majeur et nous y avons vu la propagation du virus. La Chine a failli s’arrêter. Nous avons réfléchi à la manière de continuer. Arrêter et recommencer serait un cauchemar. Nous avons décidé de continuer, mais avons ralenti. Nous mettons en place des barrières : distanciation physique, lavage des mains, masques. Nous l’avons mise en œuvre très tôt et les membres ont appuyé la stratégie.
Quelles parties du projet ont été les plus touchées par le confinement ?
La partie la plus touchée est la livraison par l’Europe de cinq secteurs de cuves à vide. Il s’agit d’un grand consortium, principalement en Italie, et les composants doivent être déplacés d’Italie en Allemagne ou en Espagne et revenir en Italie. Certains ateliers en Italie ont dû s’arrêter. Les entreprises ont souhaité trouver des mesures de reprise, mais il est trop tôt pour estimer l’impact.
Lorsque le Conseil ITER se réunira le mois prochain, que lui direz-vous sur la capacité du projet à respecter la date limite ?
Je fournirai au conseil une note sur l’impact du coronavirus, que je préparerai dans un mois. Je pense que le timing sera difficile à récupérer si l’enceinte à vide est retardée au-delà de la fin de 2021. Les bobines de champ toroïdal et huit des neuf secteurs de l’enceinte à vide n’ont pas été touchés. La Corée du Sud n’a pas fermé ses portes mais a continué à travailler sans délai. Mais en Europe, il y a eu un certain retard. Le Conseil ITER décidera donc de continuer avec des coûts supplémentaires, ou de prolonger d’environ 1 an avec peu d’impact sur les coûts.
Quel serait le coût de l’extension du calendrier d’un an ?
Il est trop tôt pour le dire, mais nous dépensons actuellement environ 1 million d’euros par jour minimum, donc 1 an ne serait pas sans conséquences.