Vendredi dernier, les Centres pour le contrôle et la prévention des maladies (CDC) ont émis une alerte concernant le premier cas, aux États-Unis, de transmission zoonotique du virus de la grippe aviaire (H5N1) par un mammifère. Le virus a notamment infecté un fermier texan par le biais de bovins. Bien qu’une épidémie affectant les humains ne soit pour le moment pas à craindre, les choses pourraient rapidement évoluer à mesure que le virus s’adapte et élargit son éventail d’hôtes.
Découvert pour la première fois en 1959 chez des poulets en Écosse, le H5N1 est un virus grippal infectant un large éventail d’hôtes. Les rapports sanitaires indiquent que depuis 2020, il a décimé des centaines de millions d’oiseaux domestiques et sauvages à travers le monde. Il a également infecté plus de 48 espèces de mammifères dans 26 pays différents, y compris en Antarctique.
Auparavant, les épidémies de grippe aviaire étaient sporadiques (se produisant de façon irrégulière) et pouvaient être maîtrisées par le biais de l’abattage des animaux infectés. Cependant, la tendance a changé depuis 2021. Au lieu de disparaître après l’isolation et l’abattage des animaux infectés, elle connaît désormais des recrudescences régulières au cours desquelles de nouvelles espèces de mammifères sont infectées.
Au cours des dernières semaines, les autorités sanitaires américaines ont détecté le virus chez des vaches issues de 16 troupeaux répartis dans 6 États — ce qui en fait la plus grande épidémie de grippe aviaire connue chez les bovins. Parallèlement, un ouvrier agricole texan a été diagnostiqué positif au virus, le 27 mars dernier, après avoir consulté pour une simple conjonctivite.
Selon les médecins, le virus a été transmis par des bovins infectés avec lesquels il a été en contact, probablement par le biais d’équipements contaminés, tel que les machines à traire. En effet, la charge virale est plus élevée dans le lait des animaux, et l’ouvrier travaille au sein d’une ferme laitière. Il s’agit du second cas humain de grippe aviaire aux États-Unis et du premier cas de transmission zoonotique à partir d’un mammifère. Le premier cas était un fermier du Colorado diagnostiqué en 2022 et qui a été en contact avec des volailles infectées.
Selon les experts, à mesure qu’il infecte de nouveaux mammifères, le virus pourrait acquérir de nouvelles mutations qui amélioreront sa capacité à se propager chez les humains. « Je surveille le virus H5N1 depuis 1997 et la situation actuelle est extrêmement préoccupante », a expliqué à Wired Raina MacIntyre, directrice du programme de biosécurité à l’Institut Kirby de Sydney.
Un risque mineur pour la santé publique ?
Depuis 1997, plus de 900 cas humains de grippe aviaire ont été détectés dans 23 pays, avec une mortalité de 52 %. Cependant, depuis 2016, ces cas humains ont diminué et seul un petit nombre d’infectés a été relevé. Au cours de leurs enquêtes, les CDC ont séquencé le génome du virus H5N1 détecté chez le fermier texan afin de le comparer à ceux provenant de bovins, de volailles et d’oiseaux sauvages de la région. Selon les experts, bien que des changements mineurs aient été détectés dans la séquence virale du patient, ils n’étaient pas suffisamment marqués pour conférer au virus une capacité accrue à infecter les mammifères et les humains. En d’autres termes, la probabilité qu’il persiste chez les bovins et se propage largement chez les humains est faible.
D’autre part, « le virus ne peut pas se transmettre facilement entre humains. L’événement clé qui pourrait entraîner une pandémie humaine est une mutation qui modifie l’affinité du virus pour certains récepteurs des voies respiratoires humaines », explique MacIntyre. Toutefois, cette dernière estime qu’une surveillance urgente est tout de même nécessaire afin de déterminer si le virus s’est déjà propagé chez les porcs et les furets. Ces derniers possèdent un profil de reconnaissance antigénique similaire au nôtre.
« Le risque actuel que ces virus représentent pour le public reste faible », ont indiqué les CDC dans un rapport. « Cependant, les personnes exposées à des oiseaux, des bovins ou d’autres animaux infectés, dans le cadre de leur travail ou à des fins récréatives, courent un risque plus élevé d’infection et doivent prendre des précautions », ont-ils précisé.
D’un autre côté, les souches grippales font l’objet de recherches actives depuis plusieurs décennies. L’Organisation mondiale de la santé (OMS) dispose ainsi d’une liste de vaccins candidats pour le H5N1 qui pourraient être produits en masse dans de brefs délais en cas d’épidémie. Lors de la pandémie de grippe humaine de 2009, les vaccins ont par exemple été disponibles dès 6 mois après l’apparition des premiers cas. D’après les analyses des CDC, la souche détectée chez le fermier du Texas est étroitement similaire à deux souches pouvant être ciblées par l’un de ces vaccins candidats.
Une menace pour la sécurité alimentaire
En revanche, bien que la probabilité d’une propagation généralisée de l’infection chez l’Homme soit pour le moment faible, l’impact du virus sur la sécurité alimentaire constitue une préoccupation urgente. La semaine dernière, deux des plus grandes fermes avicoles commerciales aux États-Unis ont signalé une épidémie de H5N1. Cela a entraîné l’euthanasie de près de 4 millions de poules pondeuses. L’année dernière, une épidémie similaire a coûté 500 millions de dollars au gouvernement américain pour indemniser les aviculteurs, tandis que le prix des œufs a grimpé en flèche.
« L’impact sur la volaille commerciale, du point de vue du bien-être, de l’économie et de la sécurité alimentaire, est sans précédent », déclare Maurice Pitesky, chercheur à l’École de médecine vétérinaire de l’Université de Californie à Davis. « Nous n’arrivons pas à contrôler cela, et nous tâtonnons un peu en ce qui concerne la mesure dans laquelle cela pourrait continuer à se propager chez les animaux de ferme à travers le monde », ajoute-t-il.
Bien que des alternatives, telles que la modification génétique des animaux d’élevage pour les rendre résistants aux virus sont désormais disponibles, elles peinent encore à gagner la confiance des consommateurs. Pour l’heure, la meilleure alternative pour maîtriser la propagation du H5N1 reste la surveillance rigoureuse de ses hôtes potentiels et de sa tendance de transmission.