L’idée peut paraître saugrenue. Mais selon une nouvelle étude menée par des chercheurs chinois et américains, cette approche permettrait de doubler les rendements agricoles, sans augmenter la surface des cultures. Autrement dit, elle pourrait contribuer à lutter contre la faim dans le monde sans pour autant causer davantage de dégâts sur l’environnement et le climat.
Le mois dernier, les Nations Unies soulignaient dans un nouveau rapport que la faim dans le monde s’était considérablement aggravée en 2020, en partie à cause de la pandémie. On estime que près de 10% de la population est aujourd’hui en situation de sous-alimentation. Augmenter la production agricole n’est cependant pas une solution envisageable sur le long terme : on sait aujourd’hui que l’agriculture contribue largement au réchauffement climatique (le secteur est responsable de près de 20% des émissions de gaz à effet de serre) et l’utilisation massive de pesticides favorise la résistance des nuisibles tout en polluant les cours d’eau.
Face à ce constat, des chercheurs ont eu l’idée de doper les rendements autrement : partir de l’existant, mais augmenter la taille du produit. Pour ce faire, ils ont eu l’idée de transplanter un gène humain lié à la masse grasse dans le code génétique de plants de riz et de pommes de terre. Ce gène, nommé FTO, a été auparavant associé à un risque majoré d’obésité. « Pour être honnête, nous nous attendions à des effets catastrophiques », reconnaît Chuan He, chimiste à l’Université de Chicago et co-auteur de l’étude.
Une seule modification pour des rendements spectaculaires
Concrètement, l’introduction du gène a modifié chimiquement les brins d’ARN de la plante de façon à ce qu’elle produise elle-même la protéine FTO. Et contre toute attente, ce gène a engendré des résultats spectaculaires : des racines plus longues, une photosynthèse plus efficace et une résistance accrue à la sécheresse. Chaque type de plante que les chercheurs ont modifié, y compris l’herbe et les arbres, a poussé plus rapidement et plus massivement.
Les plants génétiquement modifiés, cultivés en serre, ont produit trois fois plus de riz que les plants non modifiés. Cultivés dans des champs, à Pékin, les plants de riz étaient 50% plus lourds et plus productifs. Même résultat avec les plants de pommes de terre. Les chercheurs soulignent en revanche que la présence de FTO n’a eu aucun impact sur la taille des cellules matures, le diamètre des racines ou encore sur la hauteur de la plante.
Ce n’est de loin pas la première fois que les scientifiques modifient génétiquement les cultures pour augmenter les rendements — notamment sur le maïs, le soja ou encore le coton. Les gènes utilisés permettent généralement d’améliorer la résistance des plantes face aux insectes ou encore de contrôler leur germination. L’ajout d’un gène codant pour une protéine d’intérêt, liée généralement à la croissance, est également une technique déjà maintes fois mise en œuvre. Cependant, aucune des modifications génétiques antérieures n’a permis d’augmenter les rendements de plus de 10%.
Pour plusieurs experts, les résultats obtenus dépassent tellement les chiffres annoncés habituellement qu’ils semblent relever de la magie ou du hasard. « Ce qui est inhabituel dans la stratégie adoptée dans cet article, c’est qu’il n’y a aucune raison de s’attendre à ce qu’elle ait réussi », a déclaré Donald Ort, biologiste des plantes à l’Université de l’Illinois, à Urbana-Champaign, qui n’a pas participé à l’étude. Il note par ailleurs qu’en chiffres absolus, les rendements obtenus dans l’étude demeurent inférieurs à ceux des variétés commerciales ; mais si on appliquait cette même technique à ces souches déjà efficaces, cela représenterait une vraie avancée pour l’agriculture.
Un gène « très spécial » qui pourrait révolutionner l’agriculture
Du point de vue génétique, la croissance des plantes est un processus très complexe ; elle repose sur plusieurs gènes, il est donc particulièrement difficile d’optimiser les rendements des cultures en agissant sur l’un d’entre eux. Les plantes disposent en outre d’une incroyable capacité d’adaptation, notamment face à la limitation des ressources en eau et nutriments ou autres facteurs environnementaux néfastes. « Les plantes changent constamment de priorité : elles doivent se développer ou renforcer leurs défenses contre les maladies et les conditions de croissance défavorables », explique Robert Sablowski, biologiste des plantes au John Innes Center, au Royaume-Uni, qui n’a pas participé à l’étude.
Ainsi, l’environnement d’une plante joue généralement un rôle majeur dans la détermination du rendement final. C’est pourquoi les résultats de cette étude sont si surprenants pour le spécialiste : bien que cela soit possible, « il est très inhabituel de lire un rapport faisant état d’une très forte augmentation du rendement grâce à un simple changement génétique », souligne-t-il. Chuan He et son équipe ont tenté d’introduire d’autres protéines non végétales dans les plants, mais aucune n’a permis d’atteindre un tel niveau de rendement. « Je pense que FTO est très spéciale », dit-il.
Reste à présent à comprendre pleinement l’action de la protéine FTO sur les mécanismes de croissance végétale. Par ailleurs, les rendements obtenus sont si impressionnants que d’autres chercheurs appellent à la prudence avant la mise en œuvre de cette approche à plus grande échelle ; davantage de recherches doivent être menées pour tester son potentiel agricole et surtout s’assurer que les gains sont reproductibles dans diverses conditions environnementales. Nous ne verrons donc pas de pommes de terre géantes sur les étals d’ici peu : quelques années seront sans doute nécessaires pour étudier plusieurs générations de ces plantes génétiquement modifiées.