En 2017, des recherches réalisées aux États-Unis ont montré comment la psilocybine, le principal composé psychoactif des champignons hallucinogènes, peut soulager l’anxiété et la dépression. Les chercheurs avaient d’ailleurs affirmé qu’une seule dose suffisait pour apporter du réconfort à des patients atteints de cancer. Récemment, une étude distincte a révélé que la prise de psilocybine réinitialise temporairement certains réseaux neuronaux, entraînant une altération de la perception du temps, de l’espace et du contrôle de soi.
La psilocybine, tout comme le LSD (diéthylamide de l’acide lysergique) et la kétamine, fait partie des composés psychédéliques étudiés depuis de nombreuses années comme thérapies pour divers troubles psychologiques et psychiatriques tels que la dépression, l’anxiété et le trouble de stress post-traumatique. Bien que des travaux antérieurs aient montré des résultats prometteurs avec l’utilisation de la psilocybine, les recherches se poursuivent pour mieux cerner les mécanismes qui sous-tendent ses bienfaits.
Dans le but de comprendre comment la psilocybine affecte le cerveau et comment exploiter son potentiel thérapeutique, des chercheurs de la faculté de médecine de l’Université de Washington à Saint-Louis ont souhaité l’étudier sous un angle différent. Au cours de leur étude, dont les résultats ont été publiés récemment dans la revue Nature, les chercheurs, dirigés par le Dr Joshua Siegel, ont adopté une approche plus large afin d’identifier exactement la façon dont la psilocybine affecte les réseaux de neurones de l’ensemble du cerveau. « De nos jours, nous en savons beaucoup sur les effets psychologiques et les effets moléculaires/cellulaires de la psilocybine, mais nous ne savons pas grand-chose de ce qui se passe au niveau qui relie les deux : le niveau des réseaux cérébraux fonctionnels », a déclaré Siegel dans un communiqué.
Au total, sept volontaires (des adultes en bonne santé) ont participé à un essai contrôlé randomisé. Chacun d’eux a reçu une dose de 25 mg de psilocybine et une autre dose de 40 mg de méthylphénidate entre 1 et 2 semaines d’intervalle. L’équipe a suivi de près l’activité cérébrale de chaque participant avant, pendant et après la prise de chaque médicament. Pour ce faire, les chercheurs ont utilisé l’imagerie par résonance magnétique fonctionnelle (IRMf). C’est ainsi qu’ils ont pu obtenir des images montrant les modifications du flux sanguin dans différentes parties du cerveau des volontaires. Chaque sujet a subi en moyenne 18 IRMf dans les jours ou les semaines précédant l‘expérience, pendant et jusqu’à trois semaines après.
Une altération de la perception de l’espace et du temps durant des semaines
Après l’étude, les chercheurs ont comparé les images IRMf des participants avec les images IRMf lorsqu’ils ne prenaient aucun des deux stimulants. Les résultats ont révélé que sous l’effet de la psilocybine – et pas du méthylphénidate, des groupes de neurones se trouvant dans une région appelée « réseau en mode par défaut », se désynchronisaient. Ce réseau est généralement actif lorsque le cerveau est au « repos éveillé », c’est-à-dire lorsque l’esprit vagabonde plutôt que de se concentrer sur une tâche. Les scientifiques ont également constaté que lorsque l’effet du médicament se dissipait, ce même réseau se resynchronisait. En revanche, sa communication avec l’hippocampe antérieur (une partie du cerveau essentielle à la mémoire et qui est responsable de la perception de l’espace et du temps) a été perturbée pendant des semaines.
La carte thermique ci-dessous des schémas d’activité cérébrale montre des perturbations marquées lors de l’expérience d’une personne ayant pris de la psilocybine. Avant et après la prise de la substance, les schémas d’activité sont relativement stables (représentés par des teintes bleues et vertes). Cependant, pendant le « trip », ces schémas deviennent chaotiques (représentés par des teintes rouges, orange et jaunes). Ces résultats fournissent une explication neurobiologique aux effets hallucinogènes de cette drogue.
Shan Siddiqi, neuroscientifique psychiatrique à la Harvard School of Medicine de Boston (Massachusetts), explique que les changements induits par la psilocybine sont très vastes. « Les schémas de réseau cérébral de certains participants à l’étude ressemblaient à ceux d’une personne entièrement différente (sous l’effet de la psilocybine). Je n’ai jamais vu un effet aussi fort », a-t-il déclaré.
Brian Mathur, neuroscientifique systémique à la faculté de médecine de l’Université du Maryland à Baltimore, n’a pas manqué de donner son avis concernant les résultats. Il a affirmé que cette étude « fournit une résolution plus approfondie et un aperçu de la nature de la perturbation que génère la psilocybine sur les réseaux cérébraux ». En revanche, il souligne que ces données ne peuvent pas apporter plus de lumière sur ce qui cause les effets thérapeutiques potentiels de la psilocybine. « Nous avons pu obtenir des données très précises sur les effets du médicament chez chaque individu », a déclaré Ginger E. Nicol, professeure de psychiatrie et co-auteure de l’étude. « C’est un pas vers des essais cliniques de précision », conclut-elle.