Les cas de burn out se font de plus en plus fréquents parmi la population. Si le Royaume-Uni est actuellement particulièrement touché par le phénomène, celui-ci concerne malheureusement de nombreux pays. Un nombre toujours plus important de personnes déclarent se sentir épuisées, lasses de devoir vivre sous la menace constante du virus et incapables de faire face au stress permanent.
Outre-Manche, les psychologues parlent d’un « épuisement pandémique ». Les dernières mesures de confinement, qui se sont encore durcies depuis début janvier (écoles fermées, télétravail dès que possible, achats essentiels uniquement, etc.), sont difficiles à vivre pour les Britanniques. Si ce burn-out se déclare aujourd’hui, c’est surtout parce que de nombreuses personnes prennent conscience du fait qu’il faudra vivre avec le virus pendant quelque temps encore.
Dans l’Hexagone, un troisième confinement n’a pas (encore ?) été mis en œuvre. Mais la population n’est pas préservée de symptômes dépressifs pour autant. La fermeture des lieux de culture et de divertissement, le chômage pour certains, l’isolement, le décrochage scolaire et la précarité des étudiants, tout ceci fait que la vie semble aujourd’hui bien triste par rapport à ce qu’elle était avant l’arrivée du coronavirus. Et certains peinent à tenir la barre, face à tant de stress et d’incertitude.
Quand l’optimisme se met en berne
Pour beaucoup, l’allègement des restrictions après une première vague de contaminations dévastatrice était porteur d’espoir. Mais cet espoir a été très vite anéanti à l’automne, lors de la deuxième vague. L’arrivée des premiers vaccins a elle aussi été vécue comme une vraie bouffée d’oxygène, mais c’est sans compter l’apparition des variants du coronavirus, qui soulève aujourd’hui de nouvelles inquiétudes. Or, ces montagnes russes émotionnelles sont très difficiles à gérer pour bon nombre de personnes.
Une enquête Ipsos MORI menée au Royaume-Uni révèle que la population a beaucoup de mal à rester optimiste face à la situation : 60% ont déclaré qu’il leur était plus difficile de rester positif au quotidien par rapport à la période d’avant la pandémie, un chiffre en augmentation de 8 points par rapport au mois de novembre. Pour la psychologue Emma Kavanagh, les gens ont tout bonnement épuisé leur capacité initiale d’adaptation : en cas de burn-out professionnel, lorsque l’organisme est soumis à un stress intense pendant trop longtemps, il arrive un moment où il n’est plus capable de soutenir ce stress. De la même façon, dans le cas du burn-out pandémique, « le cerveau atteint sa capacité et ne peut plus accorder la même attention mentale à cela », explique-t-elle.
Lors de recherches antérieures portant sur les environnements extrêmes en psychologie, Kavanagh a découvert que certaines personnes entraient véritablement en un état « d’hibernation psychologique », qui est comparable à ce que l’on ressent en cas d’épuisement professionnel ; or, de par l’imprévisibilité et du caractère incontrôlable de la situation dans laquelle nous nous trouvons actuellement, nous pouvons effectivement considérer que nous sommes plongés dans un « environnement extrême ». Conséquences de cette hibernation ? Une baisse de la concentration, des pertes de mémoire et des problèmes de sommeil.
La spécialiste fait toutefois preuve d’optimisme : selon elle, malgré les difficultés rencontrées, il est possible de sortir beaucoup plus fort de cette crise sanitaire. Elle estime ainsi que seule une minorité de personnes subiront les conséquences à long terme de ce traumatisme ; la plupart des gens, en revanche, reprendront une vie normale et fonctionnelle, tandis que d’autres afficheront une sorte de « croissance post-traumatique ».
Premières victimes : les jeunes et les personnes âgées
Steven Taylor, professeur et psychologue clinicien à l’Université de la Colombie-Britannique, explique qu’au tout début, les gens ne savaient que très peu ou pas du tout ce qu’était une pandémie. Puis à mesure que les restrictions se sont atténuées — et au vu de la diminution du nombre de cas observée pendant l’été —, le sentiment général était que tout ceci allait bientôt se terminer pour de bon. Mais la deuxième vague est arrivée, ce qui était synonyme d’un deuxième confinement dans beaucoup de pays. « En termes techniques, les gens se sont retrouvés dans une situation de non-récompense particulièrement frustrante. Ils pensaient qu’ils seraient récompensés de leurs efforts par la fin de la pandémie, mais cette récompense leur a été retirée », précise le spécialiste.
Le stress est bel et bien relié directement à la durée de la pandémie. Alors que celle-ci dure depuis un an déjà, que les confinements et les fermetures se succèdent, les individus sont exposés à des facteurs de stress chronique et s’épuisent. Par conséquent, ils sont « de plus en plus épuisés émotionnellement, désespérés et irritables à mesure que la pandémie s’éternise », décrit Taylor. Un phénomène que l’Organisation mondiale de la santé a elle-même mis en exergue dès cet automne, sous les termes de « fatigue pandémique ».
Selon l’organisation internationale, la fatigue pandémique est « une réponse naturelle et attendue à une crise de santé publique prolongée, accentuée par les mesures restrictives ayant un impact sans précédent sur la vie quotidienne de chacun ». Ce type de fatigue peut être ressentie par tous ; mais les jeunes sont les plus touchés, car ce sont eux que les restrictions de liberté impactent le plus (précarité due à la perte de leurs jobs d’étudiants, manque de vie sociale et intégration plus difficile, éloignement de la famille dans certains cas, incertitude quant à leur avenir professionnel, etc.). Les personnes âgées font également partie des individus les plus impactés, car elles se retrouvent privées de précieuses visites familiales.
Pour de nombreuses personnes, le quotidien s’est transformé en une morne routine : « Nous n’avons plus d’horaires ou de points de repère fixes pendant notre journée [au] point que chaque jour est exactement le même. […] la vie devient floue et les gens ont du mal à se souvenir de ce qu’ils ont fait », détaille Taylor. Julia Faulconbridge, vice-présidente de la division de psychologie clinique de la British Psychological Society, souligne que tout le monde ne ressent pas la situation de la même façon, évidemment. Mais le fait est que pour tous, le message reçu était difficile à accepter : à l’automne, la situation empirait et pourtant, les gens évoquaient les fêtes de fin d’année et les vaccins à venir. Puis soudainement « c’était comme si tout cela avait été balayé » explique Faulconbridge : les cas augmentent, les variants se multiplient, l’efficacité des vaccins est remise en question… Soit, un scénario beaucoup plus sombre que celui auquel les gens s’attendaient.
Ainsi, les personnes qui éprouvaient déjà une forme de stress chronique et/ou des difficultés dans leur vie — qu’il était possible de mettre de côté un temps en se rendant au bureau, à la salle de sport ou en passant une soirée entre amis — voient ces sentiments exacerbés par les mesures de confinement et autres restrictions. Et plus celles-ci dureront, plus la pression va s’accumuler. « Les gens sont de plus en plus pris au piège des difficultés… […] Ce stress à long terme est différent du stress à court terme et a un effet insidieux et profond sur la façon dont nous pouvons fonctionner. Même si nous fonctionnons assez bien, nous ne fonctionnons plus comme avant », fait observer Faulconbridge.
Se remettre en question, mieux se connaître soi-même, redéfinir ses envies et ses priorités, profiter pleinement des rares moments de plaisir… Les émotions provoquées par la crise sanitaire peuvent aussi avoir un effet positif. Les spécialistes rappellent cependant que si les symptômes d’angoisse et de tristesse se font trop pesants, il est vivement conseillé d’en parler avec son médecin traitant.