Obtenir des systèmes d’intelligence artificielle qui traitent les informations de manière similaire à l’humain est un véritable défi, les études visant à s’approcher de cet objectif se faisant toujours plus nombreuses et concernent différents axes. De leur côté, certains fabricants tentent de produire des puces informatiques dotées de neurones artificiels dont l’architecture et le fonctionnement imitent ceux du cerveau. On les appelle les puces neuromorphiques. Récemment, Intel a développé Loihi 2, une nouvelle version de sa puce neuromorphique contenant un million de neurones artificiels.
Cette nouvelle version de la puce Loihi nous rapproche donc un peu plus de ce rêve, celui d’obtenir un jour des systèmes électroniques intelligents basés sur une version améliorée du cerveau humain. L’analogie peut sembler exagérée aujourd’hui, mais elle ne le sera peut-être plus dans un avenir relativement proche.
Jusqu’ici, les réseaux neuronaux qui alimentent les principaux systèmes d’IA fonctionnent très différemment d’un cerveau. Alors que les « neurones » utilisés dans l’apprentissage profond font transiter des chiffres entre eux, les neurones biologiques communiquent par des pics d’activité électrique dont la signification est liée à leur synchronisation et au temps d’activation.
Il s’agit donc d’un langage très différent de celui utilisé par les processeurs modernes, et il a été difficile d’implémenter efficacement ce type de neurones sur les puces conventionnelles. Pour contourner cet obstacle, des ingénieurs spécialisés dans les systèmes neuromorphiques conçoivent des puces qui imitent l’architecture des réseaux neuronaux biologiques, accueillant des réseaux de neurones dits « à impulsions ».
Des dispositifs plus rapides et plus économes en énergie
Ces dernières années, le domaine a suscité l’intérêt de grandes entreprises technologiques comme Intel, IBM et Samsung. Aujourd’hui, les réseaux de neurones à impulsions (SNN, pour Spike Neural Networks) sont considérablement moins développés que les algorithmes d’apprentissage profond qui dominent la recherche moderne en IA, mais ils ont le potentiel d’être beaucoup plus rapides et plus économes en énergie, ce qui les rend prometteurs pour intégrer l’IA sur des dispositifs à faible consommation d’énergie, comme les smartphones ou les robots.
C’est en 2017 qu’Intel a développé sa première puce neuromorphique, baptisée Loihi. Cette version peut gérer 125 000 neurones à impulsions. Mais ce n’était là qu’un premier essai modeste pour l’entreprise. Seulement 4 ans plus tard, la société présente une nouvelle version, Loihi 2, capable de mettre en œuvre un million de neurones. Elle est aussi dix fois plus rapide que son prédécesseur.
Les neurones de Loihi transportent l’information dans le timing d’impulsions représentées numériquement, ce qui est plus analogue à ce qui se passe dans le cerveau. Le calcul neuronal est déclenché par ces impulsions, ce qui rend inutile l’utilisation d’une horloge centrale pour maintenir la synchronisation. De plus, une grande partie de la puce est inactive lorsqu’il n’y a pas d’événement à observer, ce qui permet d’économiser de l’énergie.
5000 fois plus rapides que les neurones biologiques
« Notre puce de deuxième génération améliore considérablement la vitesse, la programmabilité et la capacité du traitement neuromorphique, ce qui élargit ses usages dans les applications informatiques intelligentes soumises à des contraintes de puissance et de latence », a déclaré dans un communiqué Mike Davies, directeur du Neuromorphic Computing Lab d’Intel.
Loihi 2 ne se contente pas d’augmenter de manière significative le nombre de neurones, elle élargit aussi considérablement leurs fonctionnalités. En effet, la nouvelle puce est beaucoup plus programmable, ce qui lui permet de mettre en œuvre un large éventail de SNN plutôt que le seul type de modèle dont la puce précédente était capable de gérer, explique IEEE Spectrum.
Elle peut également prendre en charge une plus grande variété de règles d’apprentissage, ce qui devrait entre autres la rendre plus compatible avec le type d’approches d’apprentissage par rétropropagation utilisées en apprentissage profond. Grâce à des circuits plus rapides, la puce peut désormais fonctionner à une vitesse 5000 fois supérieure à celle des neurones biologiques, et l’amélioration des interfaces de la puce permet de faire fonctionner plus facilement plusieurs neurones en même temps.
Chaque neurone peut exécuter son propre programme
Mais les changements les plus importants concernent les neurones eux-mêmes. Chaque neurone peut exécuter son propre programme, ce qui permet de mettre en œuvre une grande variété de neurones différents. Les concepteurs de la puce ont pris l’initiative d’améliorer le schéma de fonctionnement des neurones en permettant à ces derniers de communiquer en utilisant à la fois la synchronisation et la puissance des impulsions.
Pour l’instant, l’entreprise ne semble pas avoir l’intention de commercialiser les puces, qui ne seront disponibles que sur le cloud pour les membres de la communauté de recherche neuromorphique d’Intel. Mais Intel semble tout de même motivée à développer davantage son écosystème neuromorphique. Parallèlement à la nouvelle puce, elle a également publié un nouveau cadre logiciel open source appelé LAVA pour aider les chercheurs à créer des applications « neuro-inspirées » qui peuvent fonctionner sur n’importe quel type de matériel neuromorphique ou sur des processeurs conventionnels. « LAVA a pour but de contribuer à la diffusion de la [programmation] neuromorphique dans la communauté informatique au sens large », a déclaré Davies à Ars Technica.
Cette annonce représente une étape cruciale pour les puces neuromorphiques de l’entreprise, et pourrait bien être un jalon important vers l’industrialisation de ce type de composant. Et même si Intel n’est pas prêt à en faire une activité commerciale, cela ne veut pas dire que d’autres ne le sont pas… La société Brainchip par exemple, basée à Sydney, a reçu en août ses premiers processeurs neuronaux et espère aider les clients à développer des systèmes à faible consommation énergétique.