Des chercheurs français ont récemment réalisé une percée dans l’étude des quasi-cristaux, des structures aux motifs non répétitifs. En utilisant des sphères d’acier de grande taille et une technique vibratoire particulière, ils ont produit le plus grand quasi-cristal jamais observé. Cette réalisation pourrait ouvrir de nouvelles voies pour la création de quasi-cristaux à partir d’autres types de blocs de construction, malgré les défis inhérents à la détermination de la stabilité de ces systèmes.
Les quasi-cristaux sont des matériaux qui brisent les règles traditionnelles de la cristallographie. Avant qu’ils ne soient découverts en 1982 par Dan Shechtman, les scientifiques pensaient que les matériaux pouvaient être soit cristallins — avec des motifs symétriques et répétitifs — soit amorphes, c’est-à-dire avec des éléments structurels disposés au hasard et désordonnés. De plus, les scientifiques pensaient que les cristaux ne pouvaient être symétriques qu’un nombre limité de fois lorsqu’ils étaient tournés autour d’un axe — deux, trois, quatre ou six fois.
Les quasi-cristaux enfreignent ces règles. Ils sont assemblés selon un modèle ordonné, mais ce modèle se répète. Ils ont également des symétries de rotation qu’aucun cristal ordinaire ne peut atteindre. Un quasi-cristal à symétrie icosaédrique, par exemple, peut afficher une symétrie quintuple autour de six « lignes » de rotation différentes.
Récemment, une équipe de chercheurs de l’Université Paris-Saclay a décidé de repousser les limites de la recherche sur les quasi-cristaux. En utilisant une approche expérimentale inédite, ils ont réussi à créer le plus grand quasi-cristal à ce jour, ouvrant ainsi de nouvelles perspectives pour la compréhension et l’application de ces structures. L’étude est disponible sur la plateforme arXiv.
Une expérience audacieuse
Au lieu d’utiliser des particules de la taille du nanomètre ou du micromètre, comme c’est généralement le cas, les chercheurs ont choisi d’utiliser des objets mille fois plus grands. Ils ont versé près de 4000 sphères d’acier, de 2,4 ou 1,2 millimètre de diamètre, dans une boîte peu profonde, formant une configuration presque bidimensionnelle.
Ils ont ensuite utilisé une technique de vibration permettant de secouer la boîte à la fréquence exacte de 120 hertz pendant environ 170 heures. Pendant ce temps, ils ont enregistré l’évolution de la configuration des billes. Le résultat a été surprenant : les billes se sont organisées en un quasi-cristal mince, le plus grand jamais créé.
Des motifs complexes révélés
L’analyse des données recueillies lors de l’expérience a permis de mettre en lumière la complexité du motif formé par le quasi-cristal. En effet, ce dernier se composait de trois éléments de base, tous formés par l’agencement spécifique des billes d’acier.
Le premier élément était un triangle, constitué de trois grosses billes avec une plus petite bille positionnée entre elles. Le deuxième élément était un carré, formé par quatre grosses billes, avec soit une, soit quatre petites billes placées en son centre. Ces motifs, bien que simples en apparence, donnaient lieu à une structure globale d’une grande complexité.
Ces formes, disposées sur la surface d’une table, recouvraient cette dernière comme des tuiles. Cependant, contrairement à un carrelage ordinaire où chaque tuile est identique à la précédente, ici, les « tuiles » ne se répètent jamais exactement de la même manière. Chaque arrangement de billes, bien que semblable aux autres, présente des différences subtiles qui rendent la structure globale non répétitive.
Cette observation est caractéristique des quasi-cristaux. En effet, bien que ces derniers présentent des motifs qui semblent se répéter, ces répétitions ne sont jamais parfaitement identiques, donnant lieu à des structures d’une grande complexité et d’une grande beauté.
Des implications passionnantes pour l’avenir
En démontrant qu’il est possible de créer des quasi-cristaux à une échelle beaucoup plus grande que celle habituelle, cette étude élargit considérablement le spectre des matériaux et des techniques qui peuvent être utilisés pour leur fabrication.
En effet, l’un des principaux défis de la recherche sur les quasi-cristaux est de déterminer les conditions dans lesquelles un système est le plus stable sous forme de quasi-cristal. Cette question est particulièrement complexe pour les systèmes de particules en mouvement ou subissant de nombreuses collisions. La technique de vibration utilisée dans cette expérience pourrait offrir une nouvelle approche pour résoudre ce problème.
De plus, ces travaux auront potentiellement des implications importantes pour le développement de nouveaux matériaux. Les quasi-cristaux ont des propriétés uniques, comme une faible conductivité thermique et une grande dureté, qui pourraient être exploitées dans divers domaines, de l’électronique à l’aérospatial. La possibilité de créer des quasi-cristaux à partir de blocs de construction plus grands pourrait aussi permettre de concevoir des matériaux aux propriétés encore plus variées et adaptées à des applications spécifiques.
Pour les auteurs, cette étude aura également des implications pour la compréhension fondamentale de la matière. De fait, les quasi-cristaux, par leur nature même, remettent en question nos idées traditionnelles sur l’organisation de la matière. En explorant les limites de ce que nous pensions possible, nous pourrions découvrir de nouveaux principes et de nouvelles lois qui régissent le monde qui nous entoure.