La zone de Clarion-Clipperton (CCZ), située dans l’océan Pacifique, est une zone de fracture sous-marine d’environ 7200 kilomètres de long, qui s’étend sur près de 4,5 millions de km². Elle est connue pour être particulièrement riche en nodules polymétalliques (manganèse, nickel, cuivre, cobalt) et fait l’objet d’une importante exploitation minière. Mais ces profondeurs abyssales ne sont pas seulement riches en métaux précieux : elles abritent également une faune impressionnante. Des scientifiques viennent d’y découvrir quatre nouvelles espèces et deux nouveaux genres.
Les nodules polymétalliques des grands fonds sont composés d’oxydes de fer et de manganèse, qui s’accumulent autour d’un noyau. Selon les estimations, la masse de ces nodules polymétalliques dans la CCZ s’élève à 21 milliards de tonnes. Ce réservoir à métaux, dont la plupart sont essentiels aux nouvelles technologies, entre autres secteurs d’activités, est très convoité. Cependant, les experts s’interrogent sur les impacts environnementaux de l’exploitation minière en haute mer…
Des fonds océaniques riches en biodiversité
Car la CCZ abrite une large variété d’espèces marines. En 2016, une étude internationale dédiée aux impacts écologiques des activités minières dans les fonds marins, révélait que la diversité et l’abondance de la faune dans la CCZ étaient proportionnelles à la concentration des nodules polymétalliques. D’où l’intérêt de mettre en place des stratégies de préservation de la biodiversité dans cette zone. D’autant plus que la CCZ n’a pas encore dévoilé tous ses trésors et que de nombreuses formes de vie restent à découvrir…
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Dans une nouvelle étude, des chercheurs rapportent en effet l’identification d’un certain nombre de créatures des grands fonds, jusqu’alors inconnues. Ces animaux ont trouvé refuge à plus de 5 kilomètres sous la surface de l’océan.
Les spécimens en question sont connus sous le nom de xénophyophores, un taxon regroupant les protozoaires géants unicellulaires appartenant à la classe des foraminifères ; ils sont piézophiles, ce qui signifie qu’ils ne peuvent vivre qu’à des pressions très élevées. Les foraminifères sont des organismes très abondants, depuis plusieurs centaines de millions d’années, ce qui fait d’eux un objet d’étude particulièrement intéressant. Leur coquille, appelée test, comprend une ou plusieurs loges reliées entre elles, ainsi qu’un ou plusieurs orifices qui relient les loges au milieu extérieur ; elle se compose de diverses particules agglutinées, issues du milieu environnant.
Les xénophyophores sont l’un des types les plus communs des grandes formes de vie décelées dans les plaines abyssales de la CCZ. Pourtant, les scientifiques ne savent pas grand-chose à leur sujet, principalement en raison des profondeurs extrêmes, difficilement accessibles, où ils résident. Mais aujourd’hui, deux nouveaux genres viennent agrandir la famille :
- Abyssalia, du nom de l’abîme dans lequel il se cache.
- Moanammina, qui tire son nom du mot Moana, qui signifie « océan » en hawaïen, maori et dans d’autres langues polynésiennes.
Des organismes méconnus, acteurs majeurs de leur écosystème
Les espèces ont été décrites, sur la base de leur morphologie et des données génétiques, à partir de spécimens collectés par le véhicule télécommandé Lu’ukai (de l’Université d’Hawaï) lors d’une expédition dans la zone ouest de la CCZ, à bord du navire RV Kilo Moana, en 2018.
Les chercheurs ont alors identifié deux espèces d’Abyssalia, A. foliformis et A. sphaerica, qui doivent leur nom à l’aspect de leurs tests : A. sphaerica arbore une forme sphérique — ressemblant à un pissenlit quelque peu emmêlé — tandis que A. foliformis adopte une forme de feuille plate. Toutes deux sont particulièrement remarquables du fait que leurs tests sont entièrement construits en spicules (des sécrétions minérales) d’éponges de verre.
Autres espèces nouvellement identifiées : Moanammina semicircularis caractérisé par un test pédonculé en forme d’éventail, d’environ 7,5 cm de haut et 9 cm de large. L’espèce Psammina tenuis, appartenant au genre Psammina, arbore quant à elle un test délicat, mince, en forme de plaque.
À noter que l’espèce Moanammina semicircularis est génétiquement identique à un autre spécimen (Galatheammina), trouvé en 2017 dans l’est de la CCZ. Ainsi, cette étude fournit la première confirmation génétique de la vaste étendue géographique (au moins 3700 km environ) d’une espèce de xénophyophore abyssal.
Par ailleurs, les chercheurs ont également découvert un potentiel nouveau xénophyophore, de forme sphérique, ressemblant à une boulette de boue. Malheureusement, cette boule s’est désintégrée avant qu’un examen détaillé ne puisse confirmer son identité.
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Ces quatre nouvelles espèces élèvent à 17 le nombre de xénophyophores décrits pour la CCZ (soit 22% du total mondial des espèces de ce groupe), précise l’écologiste marin Andrew Gooday du Centre national d’océanographie, au Royaume-Uni. Les spécialistes se réjouissent de ces découvertes, qui permettront d’en apprendre un peu plus sur les xénophyophores : « Nous les voyons partout sur le fond, sous de nombreuses formes et tailles différentes. Ce sont clairement des membres très importants des riches communautés biologiques vivant dans la CCZ », explique l’océanographe Craig Smith de l’Université d’Hawaï à Mānoa, scientifique en chef du RV Kilo Moana.
Il ajoute que ces xénophyophores fournissent, entre autres, des microhabitats et de potentielles sources de nourriture à d’autres organismes. Pour comprendre pleinement comment l’exploitation minière des fonds marins pourrait affecter ces communautés peuplant les abysses, il est donc essentiel d’en savoir davantage sur l’écologie de ces étranges protozoaires.