Tous les systèmes physiques de l’Univers observable, qu’il s’agisse d’objets ou d’êtres vivants, sont constitués de matière baryonique, c’est-à-dire de particules provenant du Modèle Standard, telles que les électrons et les quarks. Cependant, dès les années 1930, l’hypothèse d’un autre type de matière au-delà du Modèle Standard est proposée : la matière noire. Cette matière hypothétique, permettant entre autre d’expliquer la courbe de rotation des galaxies et la formation des grandes structures, est aujourd’hui incluse dans le modèle cosmologique standard. Que se passerait-il si, en lieu et place de la matière baryonique, nous étions constitués de matière noire ?
En 1933, en étudiant la dispersion des vitesses de sept galaxies situées dans l’amas de Chevelure de Bérénice, l’astronome suisse Fritz Zwicky s’aperçoit que ces vitesses sont trop élevées par rapport aux prédictions théoriques. La masse dynamique de l’amas est en effet 400 fois plus élevée que la masse lumineuse (masse visible). Dans les années 1970, l’astrophysicienne américaine Vera Rubin découvre des anomalies dans la courbe de rotation des galaxies spirales. L’hypothèse d’une matière invisible mais gravitationnellement influente fait alors son apparition.
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Dans les années suivantes, l’hypothèse de la matière noire va se renforcer jusqu’à être intégrée au modèle cosmologique standard : le modèle Λ-CDM (pour cold dark matter, matière noire froide).
Dans ce modèle, la matière noire forme une toile cosmique entre les galaxies et amas de galaxies et a contribué, par son influence gravitationnelle, à la formation des grandes structures. Bien qu’encore hypothétique, plusieurs indices observationnels tendent aujourd’hui à conforter son existence.
Êtres vivants et objets physiques : tous composés de matière baryonique
L’être humain est composé d’environ 7×1027 atomes, tous liés les uns aux autres. La matière baryonique qui nous compose se retrouve majoritairement sous forme d’atomes.
Les atomes sont constitués d’un noyau atomique autour duquel se déplacent des électrons ; plus précisément, ces électrons se déplacent au sein d’orbitales atomiques qui sont des densités de probabilités de position, fournies par l’équation de Schrödinger. Selon l’électrodynamique quantique, c’est-à-dire la théorie quantique de l’électromagnétisme, les électrons (chargés négativement) interagissent avec le noyau (chargé positivement) via les photons.
Le noyau atomique est composé de hadrons, plus particulièrement de baryons (particules composites constituées de trois quarks), et plus spécifiquement de nucléons (les protons et les neutrons).
Ces nucléons sont composés de trois quarks up et down dont la distribution diffère selon qu’il s’agit d’un proton (2 quarks up + 1 quark down) ou d’un neutron (2 quarks down + 1 quark up). Selon la chromodynamique quantique, c’est-à-dire la théorie quantique de l’interaction nucléaire forte, ces quarks sont liés par des gluons (bosons de masse nulle).
C’est également l’interaction électromagnétique qui assure la cohésion de la matière à l’échelle atomique. En effet, les atomes forment des molécules en établissant majoritairement des liaisons chimiques électroniques (liaisons covalentes) dans lesquels ils mettent en commun des électrons au sein d’orbitales moléculaires. C’est cette cohésion qui, par exemple, vous empêche de traverser les murs. Tandis que la gravité terrestre, quant à elle, nous maintient à la surface.
Matière noire : des particules uniquement soumises à la gravité
À l’opposé de la matière baryonique soumise aux quatre interactions fondamentales, la matière noire n’est soumise qu’à la gravité. En effet, jusqu’à maintenant, les modèles théoriques décrivent la matière noire comme insensible aux interactions électromagnétiques, forte et faible. Ou bien possédant une section efficace (probabilité d’interaction) si négligeable concernant les bosons de ces interactions qu’elle en est indétectable. En outre, la matière noire ne semble pas interagir avec elle même ni entrer en collision avec d’autres particules.
Que se passerait-il, alors, si toute la matière baryonique de l’Univers était convertie en matière noire ? La matière noire étant insensible à l’interaction forte, la structure à l’échelle subatomique se dissocierait complètement car la force de liaison (les gluons), qui auparavant maintenait la cohésion des quarks, disparaîtrait immédiatement.
De même, à l’échelle atomique, l’interaction électromagnétique ne s’appliquerait plus, la cohésion des atomes et des molécules s’évanouirait donc elle aussi d’un coup, et plus aucune lumière ne serait émise. En clair, tout objet et être vivant disparaîtrait en une fraction de seconde, complètement désagrégé et invisible.
Avec une vitesse moyenne d’environ 3000 m/s due au mouvement thermique de chaque particule (protons et neutrons), l’ensemble de la matière noire constituant objets et êtres vivants serait propulsée dans toutes les directions. Toutefois, cette vitesse étant inférieure à la vitesse de libération de la Terre, ces particules de matière noire resteraient gravitationnellement liées à la planète. Puis ces dernières finiraient par suivre une orbite elliptique avec le centre de la Terre comme foyer. Sans interaction électromagnétique pour empêcher la matière noire de traverser la planète, celle-ci fait un tour complet en 88 minutes.
Puisque, exceptée la gravité, aucune autre force n’affecte les particules de matière noire, ces dernières ne perdent aucune énergie en traversant la Terre, et parcourraient donc leur orbite indéfiniment.
En outre, l’influence gravitationnelle du Soleil et de la Lune conduisent très lentement à l’allongement de la durée des jours terrestres. Une journée un peu plus longue signifie que tout ce qui se trouve à la surface de la Terre, du sol aux océans en passant par l’atmosphère, met plus de temps à revenir à son point de départ à chaque tour. Mais pas la matière noire.
Au lieu de cela, la matière noire dérivera lentement dans le temps, loin de son emplacement initial, à mesure que la Terre ralentira. La matière noire n’est affectée que par la gravitation. Même si la rotation de la Terre change, la matière noire n’en est pas affectée. Après une année, la position initiale des particules de matière noire sera décalée de 50 cm ; et ce décalage augmente avec le temps. Après une dizaine d’années, le décalage par rapport à la position initiale aura atteint 500 m.
Au final, toutes les particules de matière noire resteront liées gravitationnellement à la Terre, parcourant inlassablement une orbite elliptique passant au travers de la planète comme s’il s’agissait uniquement de vide. Sans l’effet dissipatif des trois autres interactions fondamentales, l’énergie et la quantité de mouvement initiales des particules de matières sont, en effet, parfaitement conservées.