Un nouveau type de réacteur nucléaire conçu pour alimenter des avant-postes (avec équipage) sur la Lune et sur Mars pourrait être prêt pour son premier essai dans l’espace d’ici quelques années seulement.
Un test en vol est la prochaine étape importante pour le réacteur à fission expérimental appelé Kilopower, qui a passé avec succès toute une série de tests (au sol) de novembre 2017 à mars 2018. Aucune démonstration spatiale n’est prévue pour le moment, mais Kilopower devrait être prêt à fonctionner dans l’espace d’ici 2022, selon Patrick McClure, responsable du projet, du Département de l’Énergie (DOE) du Los Alamos National Laboratory (Nouveau-Mexique).
« Je pense que nous pourrions faire cela d’ici trois ans et être prêts pour les vols », a-t-il suggéré durant une présentation avec le groupe de travail de la NASA. « Trois ans est une période réalisable selon moi », a-t-il ajouté, en soulignant le fait que cela soit son opinion personnelle (et donc pas forcément celle de la NASA), qui travaille sur le projet Kilopower en association avec la DOE.
Lorsque nous pensons à ce projet, il ne faut pas oublier de prendre en compte le fait que l’énergie nucléaire alimente les engins spatiaux depuis des décennies : comme par exemple Voyager 1 et Voyager 2 de la NASA, le vaisseau spatial New Horizons et le robot Curiosity, ainsi que de nombreux autres explorateurs robotiques, utilisent en effet des générateurs thermoélectriques à radio-isotopes (RTG), qui convertissent la chaleur rejetée par la désintégration radioactive du plutonium 238 en électricité.
Il faut tout de même prendre en compte que la puissance de sortie des RTG est relativement faible. Celui utilisé par Curiosity et le futur rover Mars 2020 de la NASA, par exemple, génère environ 110 watts d’électricité au début d’une mission (et cette puissance diminue lentement avec le temps).
Un avant-poste (avec équipage) sur Mars aura dans tous les cas une demande en énergie bien supérieure : soit environ 40 kilowatts d’énergie électrique disponible en permanence (40 kWe), même pour une petite station de recherche que la NASA envisage de mettre en place d’ici la fin des années 2030, a déclaré McClure. Et dans tous les cas, ces pionniers auront besoin d’électricité pour purifier leur eau, générer de l’oxygène à partir de l’atmosphère martienne (dominée par le dioxyde de carbone), recharger leurs combinaisons, chauffer leurs habitats, et encore pour de nombreuses autres tâches nécessaires au bon fonctionnement de l’avant-poste.
L’exploration humaine sur Mars exigera donc une stratégie de production d’énergie bien différente… C’est là qu’intervient Kilopower. Kilopower est un réacteur à fission : il convertit la chaleur générée par le fractionnement d’atomes en électricité, via des appareils appelés moteurs Stirling. À savoir que les centrales nucléaires, en revanche, utilisent généralement cette chaleur pour créer de la vapeur faisant tourner des turbines.
Conçu dans un premier temps en mars 2018 sous le nom de KRUSTY (Kilopower Reactor Using Stirling Technology), « le réacteur permet de convertir 30% de la chaleur de fission en électricité », a déclaré McClure. Cette efficacité est supérieure à celle des RTG, qui convertissent environ 7% de la chaleur disponible. « Il s’agit d’un test particulièrement concluant », a ajouté McClure.
Le projet Kilopower a officiellement démarré en 2015, mais ses architectes ont prouvé le concept de base en 2012 déjà, via une expérience appelée Demonstration Using Flattop Fissions – DUFF (ce sont clairement des références à la série Les Simpsons, oui ! Dave Poston étant un grand fan). Comme son nom l’indique, le réacteur Kilopower est conçu pour générer au moins 1 kilowatt d’énergie électrique (1 kWe) : son rendement est extensible à environ 10 kWe et il peut fonctionner pendant environ 15 ans, selon McClure.
De ce fait, quatre réacteurs Kilopower à plus grande échelle pourraient répondre aux besoins en énergie des explorateurs de la NASA, et un cinquième réacteur serait susceptible de fournir une réserve en cas de besoin.
À savoir également que ces appareils sont plus petits que vous ne le pensez ! En effet, l’ensemble de la machine de 10 kW ferait seulement 3,4 mètres de haut et le composant du réacteur environ 1 mètre. Mais ces pièces sont lourdes : avec le blindage, l’ensemble du réacteur de 10 kW pèserait probablement environ 2000 kg.
McClure a souligné que « les réacteurs Kilopower seront sûrs ». De plus, il faut savoir que ces appareils ne seront pas activés avant d’être installés dans l’espace, donc il n’y aura aucune menace d’exposition à des rayonnements dangereux, même en cas de problème majeur avec les fusées.
Cependant, les machines ne seraient pas forcément activées à la surface de la Lune ou de Mars. En réalité, le réacteur Kilopower est suffisamment flexible pour être incorporé dans une sonde spatiale sans effectuer de trop grandes modifications, « ce qui facilite grandement la propulsion électrique », a déclaré McClure.
En outre, Kilopower s’autorégule : si le réacteur devient trop chaud, ses moteurs Stirling pourraient extraire davantage de chaleur du noyau d’uranium. Et si la température baisse trop, le matériau de base se contracte, piégeant plus de neutrons et provoquant plus de collisions qui divisent les atomes.
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McClure a également indiqué que l’équipe derrière Kilopower souhaitait mettre sur pied des missions de démonstration afin de tester les prototypes. « La première chose qui nous a été suggérée a été un atterrisseur lunaire potentiel. Nous avons donc cherché à déterminer ce que pourrait être un système lunaire potentiel », a-t-il déclaré. Mais cette mission conceptuelle n’aboutira pas, a ajouté McClure : « Cela ciblait le pôle Nord lunaire, mais l’attention de la NASA pour l’exploration en équipage est désormais centrée sur le pôle Sud de la Lune. L’agence a pour objectif de faire atterrir des astronautes dans la région polaire sud d’ici 2024, dans le cadre du programme Artemis ».
À l’heure actuelle, Kilopower est le premier concept réellement novateur en matière de réacteur à fission à utilisation spatiale mis au point aux États-Unis au cours de ces 40 dernières années.
Réussir à faire en sorte que son fonctionnement soit un succès dans l’espace est clairement une étape importante. Bien que ce ne soit pas une première en tant que telle. En effet, des réacteurs à fission ont déjà quitté la Terre. Les États-Unis ont déjà lancé un réacteur en orbite, embarqué à bord du satellite expérimental SNAP-10A (qui a été lancé en avril 1965). De plus, à partir de 1967, l’Union soviétique a lancé plus de 30 réacteurs à fission à bord de ses satellites, jusqu’à la fin des années 1980.
Dans tous les cas, nous sommes impatients d’en découvrir davantage sur les avancées du projet Kilopower.