Ces dernières décennies, la thérapie génique s’est imposée comme un pilier essentiel dans le traitement de nombreuses maladies génétiques héréditaires et certains cancers. Néanmoins, la complexité liée à la taille des gènes défectueux de certaines pathologies a longtemps entravé son application, notamment dans les dystrophies musculaires. Les méthodes actuelles ne permettent pas de fournir une quantité suffisante de matériel génétique pour traiter efficacement ces maladies. Toutefois, une équipe de chercheurs britanniques a proposé une approche novatrice pour résoudre cette problématique, ouvrant ainsi de nouvelles voies pour le développement de thérapies géniques ciblées contre ce type d’affection musculaire dégénérative.
La thérapie génique a pour ambition d’introduire du matériel génétique, qu’il s’agisse d’ADN ou d’ARN, dans les cellules afin de traiter une maladie. Ce matériel est acheminé par un vecteur qui le libère ensuite dans le noyau de la cellule à « réparer ». Dans le cadre des maladies neuromusculaires, le vecteur de choix est souvent le virus adéno-associé (AAV). Diverses souches d’AAV sont employées pour cibler des organes spécifiques. Pour les muscles, les AAV8 et AAV9 sont prédominants.
Cependant, pour les dystrophies musculaires, ces vecteurs se heurtent à une limitation importante : leur incapacité à transporter le gène complet de la dystrophine. Néanmoins, une collaboration fructueuse entre l’Université de Rochester, CANbridge Pharmaceuticals et Scriptr Global Inc., a permis de concevoir une solution ingénieuse pour transporter efficacement ces gènes volumineux.
« La thérapie génique est un outil puissant permettant d’apporter une copie saine du gène aux cellules d’un patient pour corriger des maladies génétiques. Cependant, les vecteurs actuels sont de petite taille, ce qui limite leur utilisation aux maladies causées par des mutations dans des gènes de taille réduite », explique Douglas M. Anderson, auteur principal de l’étude et professeur à la faculté de médecine et de dentisterie de l’Université de Rochester, dans un communiqué. Face à cette contrainte, les chercheurs ont mis au point une technologie innovante qu’ils ont nommée Stitch RNA, ou plus simplement StitchR.
Le concept de StitchR repose sur l’administration de charges génétiques plus importantes à l’aide de deux AAV indépendants. En pratique, StitchR délivre séparément deux moitiés d’un gène. Une fois dans le noyau cellulaire, ces segments d’ADN génèrent chacun des ARN messagers (ARNm) qui se rejoignent avec une grande précision grâce à des ribozymes, rétablissant ainsi l’expression de la protéine manquante ou inactive. « Plutôt que de transmettre le gène entier dans un seul vecteur, ce qui est impossible, nous avons développé un système à double vecteur efficace où deux moitiés d’un gène sont transmises séparément mais se rejoignent pour reconstituer le grand ARNm dans les tissus affectés », précise Anderson.
Une technologie prometteuse et efficace
Selon les chercheurs, la genèse de StitchR provient d’une observation fortuite. Lors d’expériences en laboratoire, ils ont découvert que deux ARNm distincts, découpés par des ribozymes, pouvaient s’assembler avec une grande précision, se comportant comme leurs homologues naturels et se traduisant en une protéine de grande taille. Ils ont également observé que ces ribozymes, en coupant l’ARN, laissaient des extrémités facilement reconnues par le système de réparation naturel de la cellule.
« Tout comme les enzymes CRISPR servent à découper l’ADN, elles ne sont que des ciseaux ; ce sont les enzymes de réparation naturelle de la cellule qui recollent l’ADN », avance Anderson. Il ajoute : « Les ribozymes agissent comme des ciseaux, et les voies de réparation naturelles de la cellule relient les deux ARN ensemble. Il est remarquable que deux ARNm distincts puissent se retrouver, et que ce processus soit si efficace ».
À la suite de cette découverte, l’équipe a optimisé le processus, augmentant son efficacité de plus de 900 fois par rapport aux essais initiaux, bien que cette information doive être vérifiée pour s’assurer de la précision contextuelle. En 2021, CANbridge a signé un accord de collaboration avec Scriptr Global Inc pour développer des thérapies géniques basées sur la technologie StitchR. Ces thérapies visent notamment la cardiomyopathie dilatée liée au chromosome X (DCM), les dystrophinopathies (maladies musculaires génétiques liées au chromosome X) et la dystrophie musculaire de Becker.
Dans cette étude récente, l’équipe s’est concentrée sur la myopathie de Duchenne (ou dystrophie musculaire de Duchenne). Publiés dans la revue Science, les résultats montrent que StitchR a permis de reconstituer les protéines Dysferline et Dystrophine, codées par des vecteurs AAV doubles, activés par StitchR dans le cœur et les muscles de modèles murins.
Les chercheurs ont ainsi constaté que la protéine Dystrophine était fonctionnelle, entraînant une amélioration notable de la santé musculaire des souris testées. « StitchR est prêt à l’emploi. Les exigences de séquence pour StitchR sont minimes, et nous avons testé cette technique avec de nombreux gènes et séquences différentes », conclut Anderson.