Des chercheurs du Massachusetts Institute of Technology (MIT), associés à des experts de la Réserve fédérale de la banque de Boston, ont récemment publié leurs résultats de recherches portant sur l’établissement d’une monnaie virtuelle aux États-Unis. Ils ont commencé à tester des critères techniques, mais l’idée soulève d’ores et déjà des questionnements politiques.
Cette étude du MIT, qui a débuté en août 2020, a été nommée « projet Hamilton ». Les premiers résultats ont été publiés par le MIT et la réserve fédérale de Boston dans un article intitulé « A high performance payment processing system designed for central bank digital currencies » (« Un système de traitement des paiements à haute performance conçu pour les monnaies numériques des banques centrales »). Il s’agissait surtout de tester des spécifications techniques nécessaires à l’établissement d’une monnaie virtuelle commune à l’ensemble des États-Unis : une « monnaie numérique de la banque centrale ». En effet, une telle échelle d’utilisation nécessiterait des critères techniques très précis pour être viable.
Ces recherches ne peuvent pas vraiment être vues comme un véritable « préalable » à l’instauration de cette monnaie virtuelle. Au niveau politique, aucune procédure n’est pour le moment engagée dans ce sens. Pourquoi, alors, commencer ces recherches ? « Nous pensons qu’avant même que les discussions politiques ne commencent sérieusement, il est important de se plonger profondément dans les questions technologiques, et cette recherche a été conçue dans cet esprit », explique Jim Cunha, vice-président directeur de la Réserve fédérale de la banque de Boston. « Alors que les décisions politiques ont un impact sur la conception du système, nous pensons également que des recherches révolutionnaires peuvent informer les décideurs sur ce qui est possible ».
Pour le moment, les chercheurs se sont concentrés sur l’architecture, et plus spécifiquement sur la vitesse de transaction nécessaire à un système de cette ampleur, ainsi que d’autres aspects clefs : « le cœur de ce que nous avons construit est un processeur de transactions à grande vitesse pour une monnaie numérique centralisée, afin de démontrer le débit, la latence et la résilience d’un système qui pourrait soutenir une économie de paiement à l’échelle des États-Unis ».
Deux codes (programmes) différents ont été testés. L’un a permis de réaliser une performance de 1,7 million de transactions. Parmi ces transactions, 99% ont pu s’effectuer en moins d’une seconde. Un score plus qu’honorable, affirment les scientifiques, pour assumer la charge d’une monnaie virtuelle à l’échelle des États-Unis. L’autre système testé a aussi permis d’assurer 170 000 transactions par seconde. Les tests ont permis ces interactions via un processeur administré centralement. Les testeurs ont pu utiliser des portefeuilles virtuels avec des signatures individuelles pour autoriser les mouvements de fonds.
Un système développé en open source
En ce qui concerne la résilience, les performances semblent aussi encourageantes. Les scientifiques ont en effet conçu le système de sorte que, même si deux grandes régions des États-Unis perdaient leur connexion, ce dernier resterait opérationnel sans perte de données. La question des données personnelles serait d’ailleurs une question cruciale dans l’instauration d’une monnaie virtuelle. Les chercheurs affirment qu’ils ont bien eu cette idée en tête : « Nous avons créé des architectures où la banque centrale n’avait pas nécessairement besoin de voir ou de stocker [beaucoup] d’informations sur les utilisateurs », affirme ainsi Neha Narula, directeur de la Digital Currency Initiative du MIT et chercheur au MIT Media Lab. Ces questions seront toutefois en définitive gérées par les politiques.
Pour aboutir à une politique sur le sujet, il y a encore beaucoup de chemin à faire. « La conversation politique autour de la monnaie numérique de la banque centrale en est encore à ses balbutiements », souligne ainsi Neha Narula. « Il reste de nombreuses questions de recherche auxquelles nous n’avons pas encore répondu, telles que les rôles des intermédiaires, comment promouvoir l’accès en toute sécurité et comment concevoir pour ceux qui n’ont peut-être pas de smartphone ou d’accès Internet cohérent ». Le communiqué du MIT rappelle notamment qu’aux États-Unis, 36% des personnes qui ne possèdent pas de compte bancaire ne possèdent pas non plus de smartphone…
Plusieurs pays ont pourtant sauté ce pas de la monnaie numérique, comme la banque centrale des Bahamas, la banque centrale des Caraïbes de l’Est, ou encore du Nigeria… La Chine est aussi en expérimentation sur ce sujet. Du côté du MIT, de prochaines étapes de recherches devraient porter sur la confidentialité et la conformité du potentiel système monétaire.
Ces recherches sont publiées en open source afin qu’il soit possible de suivre le déroulement du projet et d’y contribuer. « C’est clairement un moyen efficace de construire ce système, de le mettre en œuvre et potentiellement de le lancer, en grande partie parce que les systèmes monétaires bénéficient de la transparence et de la vérifiabilité, et que l’open source offre ces deux choses », explique Neha Narula.