L’élevage bovin est l’un des principaux moteurs de la déforestation dans le monde, et le bétail élevé pour la viande bovine est une source majeure de méthane, un gaz à effet de serre plus néfaste que le dioxyde de carbone. Remplacer le bœuf par des substituts de viande pourrait réduire une partie de l’empreinte environnementale de la production alimentaire. De plus, 83% des terres agricoles sont utilisées pour le bétail et leurs cultures fourragères, alors que la viande et les produits laitiers produits ne représentent que 18% des calories consommées par l’homme. Récemment, une équipe de chercheurs allemands a analysé divers scénarios de remplacement de la viande bovine par des mycoprotéines — protéines d’origine microbienne — et l’impact sur l’utilisation des terres. Ils ont pu mettre en évidence qu’en remplaçant seulement 20% de notre consommation, en 30 ans, nous pourrions réduire la déforestation de moitié.
Le système alimentaire est à l’origine d’un tiers des émissions mondiales de gaz à effet de serre, la production de viande de ruminants étant la source la plus importante. En effet, selon la FAO (Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture), les bovins sont le principal contributeur aux émissions du secteur avec environ 5 gigatonnes d’équivalent CO2, ce qui représente 62% des émissions du secteur. Les bovins à viande et les bovins laitiers génèrent des quantités similaires de GES. Alors que la production porcine, l’aviculture, les buffles et les petits ruminants génèrent des émissions plus modestes, entre 7 et 11% du total du secteur.
Néanmoins, les émissions régionales et les niveaux de production sont très variables. Ainsi, l’Amérique latine et les Caraïbes ont le plus haut niveau d’émissions, avec 1,9 gigatonne d’équivalent CO2, du fait de la production spécialisée de viande bovine.
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Même si le rythme s’est ralenti considérablement depuis 2005, les changements en utilisation des terres dans le passé ont contribué aux émissions élevées de CO2 découlant de la déforestation pour l’expansion des pâturages. En effet, de plus en plus de forêts qui stockent beaucoup de carbone sont défrichées pour le pâturage du bétail ou la culture de son alimentation. Sachant que l’Amérique latine referme l’Amazonie, le fameux poumon de la Terre, l’enjeu de réduire l’empreinte environnementale de la production de viande bovine est crucial pour l’avenir de la planète. Dans ce contexte, des chercheurs du Potsdam Institute for Climate Impact Research (PIK) ont, pour la première fois, estimé les effets environnementaux du remplacement partiel du bœuf par des mycoprotéines au fil du temps. Leurs résultats sont publiés dans la revue Nature.
Des steaks durables avec des protéines microbiennes
Les analyses de la présente étude se sont basées sur des recherches antérieures. Ces dernières ont montré que le remplacement du bœuf par une alternative sans viande appelée mycoprotéine peut avoir des effets bénéfiques sur l’environnement. Elle est produite dans des cuves en acier par fermentation d’un champignon du sol avec du glucose et d’autres nutriments comme source de nourriture, de la même manière que le pain ou la bière. Cette mycoprotéine est un substitut de viande qui a fait ses débuts au Royaume-Uni dans les années 1980 sous le nom de marque Quorn, et est maintenant facilement disponible dans de nombreux pays. Cette biomasse nutritive, riche en protéines, a une texture semblable à celle de la viande produite de manière classique. De plus, les analyses précédentes ne tenaient pas compte des changements dans la croissance démographique, la demande alimentaire et d’autres facteurs socio-économiques.
Florian Humpenöder, chercheur au PIK et auteur principal de l’étude, déclare dans un communiqué : « La substitution de la viande de ruminants par des protéines microbiennes à l’avenir, pourrait réduire considérablement l’empreinte de gaz à effet de serre du système alimentaire. La bonne nouvelle est que les gens n’ont pas à craindre de ne pouvoir manger que des légumes verts à l’avenir. Ils peuvent continuer à manger des hamburgers et autres, c’est juste que ces galettes de hamburger seront produites d’une manière différente ».
L’équipe a utilisé un modèle mathématique qui a pris en compte l’augmentation de la croissance démographique, des revenus et de la demande de bétail entre 2020 et 2050. Dans un premier temps, dans un scénario de statu quo, l’augmentation mondiale de la consommation de bœuf nécessiterait l’expansion des zones de pâturage et des terres cultivées pour l’alimentation. Ceci doublerait le taux annuel de déforestation dans le monde. Les émissions de méthane et l’utilisation de l’eau agricole augmenteraient également. Dans un second temps, les chercheurs ont inclus des protéines microbiennes dans leur modèle de simulation informatique, pour détecter les effets environnementaux dans le contexte de l’ensemble du système alimentaire et agricole.
Ils ont alors conclu que remplacer 20% de la consommation mondiale de bœuf par habitant par des mycoprotéines, d’ici 2050, réduirait les émissions de méthane de 11% et la déforestation annuelle de moitié, ainsi que les émissions associées, par rapport au scénario de statu quo. Néanmoins, ils précisent que les effets d’atténuation sur la déforestation sont importants, car, dans ce scénario, la demande mondiale de bœuf n’augmente pas. Il n’est donc pas nécessaire d’étendre les pâturages ou les terres cultivées pour nourrir le bétail. Notons également que cette baisse de l’élevage sera, de quelques manières que ce soit, bénéfique au bien-être animal. Une production plus locale et à taille humaine permet la mise en place de meilleures conditions de vie pour les animaux.
Cependant, les auteurs soulignent qu’une augmentation supplémentaire de protéine microbienne dans la part de l’alimentation humaine entraîne, à long terme, un effet de saturation non linéaire sur la réduction de la déforestation et des émissions de CO2 associé.
Des protéines microbiennes vraiment écologiques ?
Isabelle Weindl, co-auteure et également chercheuse au PIK, explique : « Il existe en gros trois groupes d’analogues de viande […] : des produits à base de plantes comme les galettes de hamburger au soja, des cellules animales cultivées dans une boîte de Pétri, connue sous le nom de viande de culture […], et il y a la protéine microbienne dérivée de la fermentation, que nous considérons comme la plus intéressante. [Elle] peut être largement découplée de la production agricole ». Les résultats fournis par l’équipe montrent que même en tenant compte du sucre comme matière première, les protéines microbiennes nécessitent beaucoup moins de terres agricoles que la viande de ruminants pour le même apport en protéines. De plus, la Food and Drug Administration (FDA) des États-Unis a donné son feu vert en 2002 à une alternative à la viande protéinée microbienne (mycoprotéine), validant sa sûreté.
Cependant, comme le précisent certains scientifiques, à l’image de Hanna Tuomisto de l’Université d’Helsinki, la production de mycoprotéines peut nécessiter plus d’électricité que la production de bœuf. Les chercheurs devraient donc tenir compte des impacts environnementaux de la production d’énergie supplémentaire. Tuomisto souligne également que le remplacement du bœuf par des mycoprotéines signifie que certains sous-produits de l’élevage bovin, tels que le cuir et le lait, pourraient alors être fabriqués de manière alternative, apportant de nouveaux impacts environnementaux. C’est ce que confirme l’un des co-auteurs de l’étude, Alexander Popp, responsable du groupe de gestion de l’utilisation des terres au PIK : « Une transformation à grande échelle vers l’alimentation biotechnologique nécessite une décarbonisation à grande échelle de la production d’électricité afin que le potentiel de protection du climat puisse être pleinement développé ».
En conclusion, les biotechnologies peuvent être un renfort de poids afin de faire évoluer nos habitudes alimentaires, elles ne peuvent pas en être la solution complète. La meilleure alternative à la viande afin d’en réduire l’empreinte environnementale serait d’en manger moins, cette mycoprotéine pourra donc aider les plus grands amateurs de viande à réduire leur consommation. Encore faut-il que l’industrie agroalimentaire emboîte le pas aux découvertes scientifiques.