Dans le domaine de la recherche médicale, ces cinq dernières années ont été marquées par une ruée vers la transplantation « inter-espèce » d’organes. L’an dernier par exemple, des chercheurs ont pour la première fois réussi à implanter avec succès des amas de neurones humains dans des cerveaux de rats sains. En continuité de ces recherches, une nouvelle étude a récemment réussi un exploit, en implantant des organoïdes cérébraux humains dans des cerveaux de rats « endommagés », afin de réparer des lésions au niveau de leur cortex visuel. Bien que les organoïdes sont encore relativement rudimentaires, cette avancée pourrait aboutir à de nouvelles thérapies pour la régénération du système nerveux central chez l’Homme, à la suite de traumatismes ou de maladies neurodégénératives.
Fin 2022, des chercheurs de Stanford ont réussi à implanter des organoïdes de cerveaux humains chez des rongeurs sains, d’âges variés. Cependant, l’implantation d’organoïdes présenterait quelques obstacles, car les neurones cultivés en laboratoire avaient par exemple du mal à atteindre la taille spécifique des neurones de notre cerveau. Mais la tâche la plus complexe était de stimuler les cellules isolées in vitro de sorte qu’elles puissent se connecter avec succès à d’autres neurones, une fois implantées. Une fois ces étapes franchies, la prochaine consistait à implanter les organoïdes chez des rats présentant des lésions cérébrales.
Dans le cadre de la nouvelle étude, des chercheurs de l’Université de Pennsylvanie (États-Unis) ont créé en laboratoire des organoïdes cérébraux à partir de cellules souches humaines pluripotentes. Afin de pouvoir se différencier en neurones fonctionnels, ces dernières ont été stimulées par le biais de signaux chimiques pendant 80 jours. Après cette étape, les amas cellulaires tridimensionnels formés peuvent imiter les fonctions désirées, notamment celles du cortex cérébral (qui comprend plusieurs couches superposées). « Cette structure est vraiment très importante pour définir le fonctionnement réel du cerveau », explique Han-Chiao Isaac Chen, auteur correspondant de la nouvelle étude et chercheur au département de neurochirurgie de l’Université de Pennsylvanie.
D’après l’étude, décrite dans la revue Cell Stem Cell, l’objectif était d’imiter les fonctions de la zone du cortex cérébral traitant les informations visuelles. Expérimentée pour le moment uniquement chez animaux, l’implantation d’organoïdes pour réparer les lésions cérébrales pourrait un jour être appliquée à l’Homme. « Je vois cela comme la première étape dans le développement d’une nouvelle stratégie pour réparer le cerveau », estime Chen. Les organoïdes pourraient ainsi potentiellement devenir des alternatives de choix pour la restauration des fonctions cérébrales suite à des blessures traumatiques (à la suite de chirurgies ou d’un AVC ou de maladies neurodégénératives).
Application chez l’Homme : un objectif lointain
Grâce à la transplantation des organoïdes chez des rats adultes (chez lesquels l’on avait induit une blessure majeure dans le cortex visuel secondaire), les chercheurs ont pu « colmater » les lésions dans leur cortex cérébral. Afin d’éviter les rejets de greffe, des immunosuppresseurs ont été administrés chez les animaux avant et après l’intervention chirurgicale. Trois mois après l’implantation, de nouveaux capillaires sanguins ont infiltré les organoïdes, dont les cellules se sont correctement connectées avec les neurones sains des rongeurs. De plus, la taille des organoïdes avait légèrement augmenté, grâce à la formation de nouvelles cellules.
Afin de déterminer si les connexions synaptiques ont été établies avec succès, les chercheurs ont cartographié les nouvelles liaisons par le biais d’un marqueur viral fluorescent. Résultat : les organoïdes se sont connectés avec succès aux nerfs optiques des rats. Par ailleurs, en testant la faculté visuelle de ces derniers avec divers stimuli, les chercheurs ont constaté que les organoïdes implantés dans leur cortex s’activaient en réponse. « La stimulation visuelle des animaux a provoqué des réponses dans les neurones des organoïdes, y compris la sélectivité d’orientation », ont écrit les chercheurs dans leur étude.
Cependant, l’équipe de recherche n’a pas encore pu effectuer de véritables tests d’acuité visuelle ou de comportement lié à la vision chez les rats transplantés. De plus, malgré la ressemblance fonctionnelle des organoïdes avec le cortex cérébral, leur base structurelle serait encore relativement rudimentaire, et la technique serait encore loin de pouvoir être appliquée à l’Homme.
Toutefois, les chercheurs comptent réaliser la prochaine étape de recherche pour répondre à la question : à quel point les rats transplantés ont-ils pu récupérer leurs fonctions visuelles ? Par ailleurs, l’implantation d’organoïdes dans d’autres régions du cerveau, telles que le cortex moteur, sera également étudiée. Mais avant cela, les chercheurs espèrent pouvoir améliorer la base structurelle de leurs organoïdes, afin que ces derniers puissent véritablement imiter les fonctions complexes d’un cerveau sain. « Nous voulons un substrat qui reproduit plus fidèlement le cerveau, car en théorie, cela devrait rendre les organoïdes plus utiles pour les futures réparations cérébrales », suggère Chen.