Le requin-baleine (Rhincodon typus), qui peut atteindre près de 20 mètres de long et peser plus de 30 tonnes, est le plus grand poisson du monde. À l’instar de la baleine bleue, il se nourrit essentiellement de plancton, de krill et d’autres petits animaux, qu’il ingère par la bouche en avalant d’énormes quantités d’eau. Pour la première fois, un guide d’écotourisme a observé l’animal en train de se nourrir en draguant les fonds marins.
Bien que le requin-baleine soit le plus grand poisson du monde — ce qui leur a valu ce nom —, de nombreuses questions subsistent quant à son écologie et à son comportement. L’espèce est répartie dans le monde entier, dans les eaux chaudes tropicales et tempérées. Ces animaux se déplacent lentement, mais sont très mobiles : ils migrent sur de très longues distances, parcourant chaque jour entre 20 et 30 kilomètres. Ils sont connus pour leurs agrégations saisonnières, notamment le long des côtes du Panama.
Ce sont des animaux filtreurs : pour se nourrir de plancton et de petits crustacés, ils absorbent de larges quantités d’eau en zone épipélagique (soit à moins de 200 mètres de la surface), qu’ils filtrent ensuite grâce à leurs larges ouïes. S’ils passent la majeure partie du temps non loin de la surface, des études antérieures ont rapporté qu’ils effectuaient régulièrement des plongées très profondes, à plus de 500 mètres — la profondeur maximale enregistrée étant de 1928 mètres ! Il a été suggéré que ces plongées extrêmes étaient motivées par la recherche de nourriture, mais jusqu’à présent, personne n’en avait obtenu la preuve.
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Des plongées en eaux profondes dont la cause reste à éclaircir
Pour la première fois, un guide d’écotourisme a filmé un requin-baleine — un jeune individu, d’environ cinq mètres de long — en train de se nourrir des matériaux du fond marin, à environ six mètres de profondeur. Ce comportement, observé dans les eaux du Mexique, est inédit chez l’espèce. Les images ont été envoyées au Shark Research Mexico, une organisation à but non lucratif dédiée à la recherche et à la conservation des requins et des raies dans le golfe de Californie.
Darren Whitehead, directeur de la recherche et de la conservation de cette organisation, a été très intrigué par ces images. Bien que des analyses antérieures aient suggéré que les requins-baleines se nourrissaient probablement d’animaux benthiques, ce comportement alimentaire n’avait jusqu’à présent jamais été observé en direct. En collaboration avec Joel Gayford, chercheur principal de Shark Measurements, il présente cette première preuve et les explications potentielles de cette stratégie de recherche de nourriture.
« Nous suggérons que les requins-baleines se nourrissent activement de proies benthiques, soit de manière prédominante dans les environnements d’eaux profondes, soit lorsque l’abondance de ces proies dépasse celle des sources de nourriture planctoniques », résument-ils dans Journal of Fish Biology.
Le fond marin procure-t-il des nutriments spécifiques que les requins ne trouvent pas dans les eaux de surface ? Les ressources planctoniques sont-elles devenues insuffisantes ? Pour le moment, les chercheurs ne connaissent pas encore les raisons exactes de ce comportement.
Une conséquence potentielle du réchauffement climatique
Bien qu’il soit observé ici pour la première fois, ce comportement n’est cependant peut-être pas rare, notent les chercheurs. En effet, il a été prouvé que cette espèce est capable de plonger jusqu’à près de 2000 mètres de profondeur, une zone beaucoup moins accessible pour les scientifiques. La plupart des observations étant limitées à la zone épipélagique, il est fort possible que ce comportement soit donc plus fréquent qu’il n’y paraît.
Qu’elles soient rares ou non, les deux co-auteurs soulignent qu’il est crucial de déterminer les raisons de ces plongées profondes. S’il s’avère que les ressources benthiques constituent une part importante de l’alimentation des requins-baleines, cela renforce la nécessité de protéger ces écosystèmes ; en effet, les fonds marins subissent directement les impacts de l’exploitation minière et du chalutage — une technique de pêche qui consiste à racler le plancher océanique, détruisant au passage les espèces qui y vivent et leurs habitats.
En outre, on sait aujourd’hui que le réchauffement climatique a un fort impact sur les organismes planctoniques, les océans devenant peu à peu plus chauds, mais aussi plus acides. Si le comportement des requins-baleines est motivé par une baisse des ressources en plancton, cela indique que plusieurs autres espèces marines — celles dont le plancton est la principale source d’alimentation — pourraient être en danger. Or, toutes ne sont pas capables d’imiter le requin-baleine et de dénicher ou d’atteindre d’autres sources alimentaires.
De plus amples recherches seront donc nécessaires pour étudier plus avant ce comportement. En attendant, les deux chercheurs se réjouissent d’avoir obtenu de nouvelles images grâce à l’intervention d’un guide écotouristique. « Nous soulignons également le potentiel de l’écotourisme et des projets de science citoyenne pour contribuer à notre compréhension de l’écologie comportementale de la mégafaune marine », concluent-ils.
L’écotourisme est une forme de tourisme durable, centrée sur la découverte et la préservation de la faune et de la flore. Les biologistes ne peuvent pas passer tout leur temps sur le terrain, et les témoignages ou les données collectées par des personnes lambda, aux quatre coins du monde, peuvent parfois être fort utiles pour éclairer certains mystères de la nature.