D’après une estimation de l’organisme américain Geological Survey (USGS), 500 000 séismes ont lieu à travers le monde chaque année. La plupart sont trop faibles pour être ressentis. Cependant, certains d’entre eux, à l’image du tremblement de terre au large des côtes japonaises en 2011, peuvent causer l’effondrement des grands bâtiments, couper l’accès à l’électricité, à l’eau et aux réseaux de communication. Ils peuvent aussi engendrer des glissements de terrain dévastateurs. La détection sismique est un enjeu crucial. D’ailleurs, une équipe chinoise a récemment démontré qu’un réseau de communication quantique serait assez sensible pour détecter de minuscules vibrations, signes annonciateurs de potentiels séismes. Cette découverte suggère ainsi une utilisation supplémentaire possible d’un futur réseau quantique sécurisé.
À l’heure de l’ultra-connexion, la sécurité des communications est indispensable. Les technologies quantiques apportent une solution révolutionnaire aux besoins de communication sécurisée. Ainsi, un réseau de communication quantique repose sur la distribution de clés quantiques (QKD). Il s’agit d’un ensemble de protocoles permettant de distribuer une clé de chiffrement entre deux interlocuteurs distants, tout en assurant la sécurité de la transmission grâce aux lois de la physique quantique et de la théorie de l’information.
Précisément, le réseau est composé de nœuds locaux de communication quantique, entre deux usagers. Ces points de connexion génèrent des photons qui servent au transport de l’information. Les propriétés quantiques de ces particules de lumière leur permettent de voyager sur de longues distances à travers une fibre optique entre les nœuds locaux. La distribution de clés quantiques utilise donc des lasers pour transmettre les clés et les données. Les propriétés quantiques des photons dans les faisceaux laser sont codées de manière binaire (avec des 1 et des 0). Alors qu’un tiers peut intercepter le faisceau, en étant observé, les propriétés quantiques changent, rendant les clés inutiles pour un attaquant.
Récemment, une équipe de recherche chinoise menée par Jian-Wei Pan de l’Université des sciences et technologies de Chine, a tenté de réduire le nombre de nœuds nécessaires pour la conduction de l’information entre deux interlocuteurs, sans perte de données. D’ailleurs, les chercheurs ont démontré que cette ultra-sensibilité pourrait servir à détecter des changements du milieu entourant la fibre, comme d’autrement imperceptibles secousses. Cette propriété la rend potentiellement utile pour détecter les tremblements de terre et les glissements de terrain. Leurs résultats ont été publiés dans la revue Physical Review Letters.
Un réseau quantique à champ double
L’équipe de recherche s’est intéressée à la distribution de clés quantiques à deux champs (TF-QKD), un protocole de fibre commun permettant un cryptage sécurisé à longue distance, à l’aide d’interférences photoniques. Elle promet une distribution de clés sécurisée ultra-longue en réduisant le nombre de nœuds de confiance dans le réseau quantique longue distance. Des efforts considérables ont été déployés pour la mise en œuvre de TF-QKD.
De manière concrète, une expérience TF-QKD consiste en deux configurations optiques, appelées A et B, aux extrémités opposées d’une fibre optique. Chaque configuration génère une chaîne aléatoire de bits (0 et 1) et l’envoie sous forme de signal optique sur la fibre à un nœud intermédiaire appelé C. Au nœud C, les deux signaux interfèrent (interférence photonique) et les signaux optiques résultants sont ensuite retransmis à A et B, qui utilisent les résultats d’interférence pour générer une clé partagée.
Sur ce principe, Pan et ses collègues ont donc démontré, dans un premier temps, le fonctionnement TF-QKD dans un laboratoire, avec une fibre optique enroulée autour de bobines. En d’autres termes, ils ont réussi à envoyer des données cryptées sur un câble de 658 kilomètres avec une perte de données minimale. C’est l’une des plus longues distances couvertes à ce jour par n’importe quel système QKD.
Par ailleurs, la détection de ces interférences photoniques nécessite une surveillance constante des signaux lumineux que les utilisateurs partagent sur chaque liaison fibrillaire. Les auteurs ont réalisé qu’ils pouvaient utiliser ce flux de données continu pour détecter les vibrations le long de la fibre. Ils soulignent que cette récupération de données de détection de vibrations est possible sans ajouter de nouvelles ressources en fibre ou en matériel à un réseau TF-QKD.
Compenser les fluctuations du réseau
Comme il est courant pour la méthode TF-QKD, les scientifiques ont conçu leur système pour corriger les fluctuations de la phase photonique traversant la fibre. Par exemple, si un mouvement brusque augmente brièvement la longueur de la fibre à une extrémité, un creux de l’onde lumineuse arriverait au nœud intermédiaire au lieu d’un pic. Ainsi, un système TF-QKD doit continuellement effectuer des ajustements, pour annuler les fluctuations de phase. C’est ce qu’ont réalisé les auteurs lors de la conception de leur système TF-QKD. Toutes les perturbations environnementales, telles que les vibrations dans le sol, ou les variations de température, affectent également cette phase et peuvent être potentiellement détectées.
Pour démontrer cette possible détection de vibrations sismiques, les chercheurs ont installé un dispositif piézoélectrique faisant bouger, à un endroit précis, la fibre provenant d’une extrémité. La fréquence de vibration a été fixée entre 1 et 1000 Hz, étant la plage pertinente pour la détection sismique. Les vibrations produisent des changements de phase entre 0,9 et 50 radians, que le système de compensation des fluctuations a captés.
Par suite, l’équipe a effectué un test similaire sur la liaison d’étalonnage de fréquence, une fibre séparée requise par les systèmes TF-QKD pour verrouiller les fréquences des lasers issus des deux extrémités de la fibre. Les chercheurs ont utilisé ce lien pour localiser la source de vibration avec une précision de 1 km. Ils concluent : « Nos résultats établissent non seulement un nouveau record de distance de distribution de clé quantique, mais démontrent également que les informations redondantes de TF-QKD peuvent être utilisées pour la télédétection de la vibration du canal, ce qui peut trouver des applications dans la détection des tremblements de terre et la surveillance des glissements de terrain, en plus de la communication sécurisée ».
Cette étude s’inclut dans un ensemble de travaux antérieurs basés sur le même concept. En 2018, une expérience avait utilisé des fibres de télécommunication sous-marines pour détecter les séismes. Le taux de transfert de données doit être amélioré avant que la technologie puisse être intégrée dans un réseau de communication quantique à grande échelle et qu’elle soit opérationnelle quant à la détection sismique. Néanmoins, en 2021, la Chine affirmait avoir déployé le premier réseau de communication quantique intégré au monde. La mise en place sur ce réseau d’un système de détection est un véritable enjeu pour la Chine, l’un des pays les plus touchés par les tremblements de terre dans le monde. Juste pour le mois de mai 2022, on ne dénombre pas moins de 10 séismes, dont le plus puissant avait une magnitude de 6,3 sur l’échelle de Richter.