En séquençant les génomes de centaines de coraux durs, des biologistes ont découvert que certains ont survécu à des changements environnementaux extrêmes survenus à plusieurs reprises au cours de leurs centaines de millions d’années d’existence. Cela suggère que certaines espèces modernes pourraient avoir développé une résilience face aux effets du réchauffement climatique. Ces résultats offrent une nouvelle compréhension de la manière dont les récifs coralliens pourraient évoluer dans les siècles à venir.
Bien qu’ils n’occupent que moins de 1 % des espaces océaniques, les récifs coralliens abritent plus d’un quart de la biodiversité marine et fournissent des services écosystémiques majeurs, allant de la séquestration du carbone à la protection des littoraux, en passant par le soutien à la pêche et au tourisme. Outre leur rôle crucial dans la préservation de la biodiversité et du système climatique, ils alimentent ainsi une part importante de l’économie mondiale. On estime que les services fournis par les récifs coralliens contribuent à l’économie mondiale à hauteur d’environ 9 900 milliards de dollars par an en valeur écosystémique totale.
Les récifs du monde entier connaissent toutefois un déclin généralisé sous l’effet du réchauffement climatique. La couverture corallienne viable a diminué de moitié depuis les années 1950. Les derniers rapports indiquent qu’ils subissent actuellement le quatrième, et le plus important, épisode de blanchissement jamais enregistré, 84 % des récifs dans le monde étant confrontés à un stress thermique sans précédent.
La hausse des niveaux de CO₂ océanique provoque également des acidifications record, exposant les coraux constructeurs de récifs à la décalcification. La hausse des concentrations de CO₂ dans les océans réduit la saturation en aragonite, un paramètre essentiel à la calcification des coraux et, par extension, à la croissance des récifs. Comprendre la manière dont les coraux durs — principaux bâtisseurs de récifs — ont été affectés par les changements environnementaux passés pourrait éclairer les efforts de conservation actuels pour les rendre plus résilients face au réchauffement climatique.
Cependant, l’histoire phylogénétique (l’arbre généalogique évolutif) des coraux durs, ainsi que leurs caractéristiques écologiques et morphologiques à travers les âges géologiques, restent mal comprises. Cela s’explique par le fait qu’une phylogénie mondiale complète n’a pas encore été établie. Pour combler ces lacunes, des chercheurs du Smithsonian Institution et de l’Université de São Paulo ont mené une analyse phylogénétique moléculaire ajustée en fonction des temps géologiques, incluant des centaines de taxons coralliens dont les génomes ont récemment été séquencés.
Une résistance à plusieurs épisodes de changements majeurs
La phylogénie à grande échelle est couramment utilisée pour décrypter l’histoire évolutive d’une grande variété d’organismes. Pour mener leur étude, les chercheurs ont séquencé les génomes de 274 coraux durs ou scléractiniaires — soit près de 16 % des espèces connues — vivant en eaux profondes et peu profondes, afin de reconstituer l’arbre phylogénétique de l’ordre.
L’analyse incluait des représentants de toutes les familles de l’ordre, à l’exception de deux. L’équipe a examiné comment les variations de température et de concentration en CO₂, les événements anoxiques océaniques (appauvrissement en oxygène) et les épisodes d’extinction de masse avaient influencé leur diversification.
« Les traits ancestraux spécifiques (c’est-à-dire la symbiose, la colonialité et la relation avec le substrat), ainsi que les gammes de profondeur ayant potentiellement permis aux lignées de survivre à des événements défavorables, ont été étudiés en lien avec les taux de diversification propres à chaque lignée et la manière dont l’évolution de ces traits a répondu aux bouleversements climatiques passés », précisent les chercheurs dans leur étude, récemment publiée dans la revue Nature.
Les analyses indiquent que l’ancêtre commun le plus récent des scléractinaires remonte à environ 460 millions d’années. Il s’agirait probablement d’un organisme hétérotrophe — incapable de produire sa propre nourriture — capable de vivre aussi bien en eaux peu profondes qu’en eaux profondes.
L’arbre phylogénétique suggère que certaines espèces apparues ultérieurement ont développé une relation symbiotique avec des algues photosynthétiques, ce qui aurait considérablement accru la diversité de l’ordre il y a environ 300 millions d’années. Cependant, les archives fossiles montrent qu’un grand nombre de ces espèces ont disparu lors d’un important épisode d’anoxie océanique survenu il y a 180 millions d’années. Elles ne se sont diversifiées qu’après deux autres événements anoxiques, survenus entre 120 et 90 millions d’années avant notre ère, soulignant leur vulnérabilité face aux changements environnementaux.
En revanche, certaines espèces non symbiotiques vivant en eaux profondes ont survécu à ces épisodes extrêmes. Certaines familles se sont même davantage diversifiées. « Les coraux solitaires et hétérotrophes, dotés de préférences flexibles en matière de profondeur et de substrat, semblent avoir prospéré dans les profondeurs marines malgré ces perturbations environnementales », écrivent les chercheurs. Cela suggère que ces espèces, ou leurs descendants, pourraient survivre à d’autres épisodes extrêmes, tel que le changement climatique actuel.
« Même si l’on s’attend à ce que les changements environnementaux en cours affectent gravement les récifs peu profonds, la résilience démontrée par les coraux durs au fil de l’histoire géologique laisse espérer la persistance de certaines lignées face aux bouleversements climatiques et environnementaux », concluent-ils.


