Des chercheurs canadiens ont montré qu’avec l’augmentation de la fonte des glaciers arctiques induite par la hausse des températures, il existe un risque que les virus précédemment piégés dans la glace soient en contact avec de nouveaux environnements et infectent de nouveaux hôtes. La prochaine pandémie pourrait alors ne pas provenir de chauves-souris ou d’oiseaux, mais de la matière libérée lors de la fonte des glaces.
Les virus sont omniprésents et se trouvent (en plus des animaux) dans l’eau de mer, l’atmosphère et le sol. On estime qu’il existe sur Terre 10 nonillions (1054) de virus individuels, soit suffisamment pour en attribuer un à chaque étoile de l’univers 100 millions de fois…
Bien qu’ils aient des génomes très divers, les virus ne sont généralement pas considérés comme des « entités vivantes », car ils doivent infecter la cellule d’un hôte pour se répliquer. D’ailleurs, ils sont capables de détourner des organismes de toutes les branches de l’arbre du vivant, que ce soit des bactéries, des champignons, des humains, des animaux ou des plantes. Parfois, ils peuvent passer à un nouvel hôte qui manque d’immunité avant d’évoluer, comme lors de la pandémie de COVID-19.
C’est pourquoi, avec l’augmentation de la fonte des glaciers arctiques induite par la hausse des températures, l’impact du changement climatique pourrait amener les virus à infecter de nouveaux hôtes dans l’Arctique. C’est ce qu’on appelle le « débordement » viral, c’est-à-dire lorsqu’un virus infecte un nouvel hôte pour la première fois.
Récemment, des chercheurs de l’Université d’Ottawa, du département de biologie, ont pour la première fois évalué les données de séquençage de l’ADN et de l’ARN de cet environnement arctique à l’aide d’une méthode développée en biologie comparée. Leurs résultats, publiés dans la revue Proceedings of the Royal Society B, met en perspective les conséquences du réchauffement climatique et les risques de nouvelles pandémies émergentes.
Une nouvelle méthode d’analyse génétique
Audrée Lemieux, premier auteur de l’étude, a développé une nouvelle approche métagénomique pour évaluer la diversité des virus présents dans les sédiments du plus grand plan d’eau douce arctique, le lac Hazen. Avec son équipe, elle a d’abord utilisé de l’ADN et de l’ARN extraits d’échantillons de sol et de limon du lac, ce qui lui a permis d’identifier la présence de virus ainsi que des hôtes potentiels animaux, végétaux et fongiques.
Aris-Brosou, professeur agrégé au Département de biologie et co-auteur, explique dans un communiqué : « En recourant à une analyse comparative, nous montrons que le risque de propagation virale augmente avec le ruissellement de la fonte des glaciers — un indicateur indirect de l’effet du changement climatique. Si le changement climatique devait également déplacer la gamme d’espèces de vecteurs et de réservoirs viraux potentiels vers le nord, l’Extrême-Arctique pourrait devenir un terrain fertile pour les pandémies émergentes ».
Par la suite, A. Lemieux a développé un algorithme pour déterminer le risque de propagation virale. Les résultats suggèrent que le risque était plus élevé pour les échantillons de lac prélevés plus près du point où de plus grandes voies navigables — qui contiennent plus d’eau de fonte des glaciers — se jettent dans le lac Hazen. À mesure que les températures mondiales augmentent, les glaciers de cette région reculent, générant plus d’eau de fonte et augmentant ainsi le risque de débordement.
Un recul des glaciers effrayant dévoile des virus inédits
D’ailleurs, une étude en début d’année, également de l’Université d’Ottawa, a cartographié pour la première fois tous les glaciers qui se terminent dans l’océan de l’hémisphère Nord. Ces résultats ont fourni une mesure de leur taux de changement au cours des 20 dernières années. Les chercheurs ont constaté que « dans l’ensemble, 85% des glaciers ont reculé, 12% n’ont pas changé dans les limites d’incertitude et seulement 3% des glaciers ont avancé de 2000 à 2020 ».
De plus, Audrée Lemieux explique que pour le moment, le risque de propagation virale dans les hôtes animaux conduisant à la propagation de maladies infectieuses est minime, car il y a moins de « vecteurs ponts », comme les moustiques, dans l’Arctique. Cependant, les espèces animales sont susceptibles d’augmenter leurs limites de répartition et de migrer vers les pôles en raison du changement climatique, ce qui pourrait éventuellement conduire ces régions du globe à devenir un site privilégié pour de telles retombées.
Le professeur Aris-Brosou déclare que les résultats pourraient présenter un scénario semblable à l’émergence d’Ebola et du SARS-CoV-2, où « une exposition répétée à de nouveaux hôtes, qui manquent d’immunité à ces virus » se produit.
Audrée Lemieux souligne : « Alors que nous montrons que le risque de débordement augmente dans les sédiments lacustres d’un lac de l’Extrême-Arctique, un environnement qui se réchauffe déjà plus rapidement que le reste du monde, nous pensons que ces types d’analyses devraient être poursuivies avec des activités de surveillance afin d’atténuer les effets potentiels [induits] ».
En effet, en 2021, des chercheurs de l’Ohio State University ont trouvé des virus vieux de près de 15 000 ans dans deux échantillons de glace prélevés sur le plateau tibétain en Chine. La plupart de ces virus, qui ont survécu parce qu’ils étaient prisonniers de la glace, ne ressemblent à aucun virus répertorié à ce jour. Matthew Sullivan, co-auteur de l’étude, professeur de microbiologie à l’Ohio State et directeur du Center of Microbiome Science de l’Ohio State, explique dans un communiqué : « Ces virus ont des signatures de gènes qui les aident à infecter les cellules dans des environnements froids — juste des signatures génétiques surréalistes sur la façon dont un virus est capable de survivre dans des conditions extrêmes ».
L’étude des virus dans les glaciers est relativement nouvelle, mais c’est un domaine scientifique qui devient de plus en plus important à mesure que le climat se réchauffe. Aris-Brosou conclut : « Alors que le changement climatique et les pandémies remodèlent le monde dans lequel nous vivons, comprendre comment ces deux processus interagissent est devenu essentiel ». D’ailleurs, son équipe développe actuellement une méthode pour déterminer si les virus identifiés diffèrent de ceux connus sous des latitudes plus tempérées et ceux de nos bases de données.