Avancée majeure en robotique « douce » : un nouveau polymère ferroélectrique se montre incroyablement efficace pour convertir l’énergie électrique en mouvement mécanique. En tant que contrôleur de mouvements à la fois souple et résistant, le fonctionnement du matériau est proche de celui du muscle humain et promet de larges perspectives d’utilisation dans les dispositifs médicaux et la robotique avancée.
La robotique douce, en plein essor, est une branche de la robotique incluant l’utilisation des matériaux souples et malléables (dits actionneurs mécaniques) capables de se tordre de se plier ou d’adapter leur forme sous différentes contraintes mécaniques. En règle générale, ces actionneurs ou contrôleurs de mouvement sont constitués de matériaux rigides, dont le manque de flexibilité entrave considérablement les avancées dans le domaine de la robotique.
Afin de pouvoir effectuer le plus grand nombre de tâches possible, il est en effet essentiel que les actionneurs soient à la fois souples et capables de résister à de puissantes contraintes, sans se briser ou se déchirer. Actuellement, les matériaux les plus étudiés dans ce sens incluent les élastomères diélectriques, les polymères conducteurs, les matériaux piézoélectriques, à mémoire de forme, ou encore les polymères organiques. Ces actionneurs peuvent être stimulés par des champs électriques ou magnétiques, par la pression, la température, l’humidité et les radiations lumineuses.
La recherche a récemment démontré que les polymères ferroélectriques affichent une flexibilité et une adaptabilité environnementale particulièrement élevées. Cependant, ils présentent tout de même des défis communs aux matériaux piézoélectriques, notamment la combinaison dans un seul matériau de la résistivité aux différentes contraintes mécaniques et de la malléabilité — des propriétés opposées, mais pourtant présentes dans nos muscles.
Dans leur nouvelle étude, décrite dans la revue Nature Materials, des chercheurs de l’Université d’État de Pennsylvanie suggèrent de surmonter ces défis avec un nouveau nanocomposite de polymères ferroélectriques. En tant qu’actionneur mécanique souple et résistant, le matériau réduit considérablement l’intensité du champ moteur nécessaire et montre des performances de déformation améliorées. Il s’agirait à ce jour de ce qui se rapproche le plus du muscle humain.
« Potentiellement, nous pouvons maintenant avoir un type de robotique douce que nous appelons muscle artificiel », indique Qing Wang, professeur de science et d’ingénierie des matériaux de l’Université d’État de Pennsylvanie, coauteur correspondant de l’étude. « Cela nous permettrait d’avoir une matière molle qui peut supporter une charge élevée en plus d’une grande déformation », explique-t-il.
Un polymère doté d’un réseau de nanoparticules
Les matériaux piézoélectriques sont des matériaux dits « intelligents », capables de convertir l’énergie électrique en énergie mécanique et vice-versa. Cette capacité est liée au fait qu’ils présentent une polarisation macroscopique électrique, sous l’effet d’une contrainte mécanique. Réciproquement, ils peuvent se déformer lorsqu’on leur applique un champ électrique.
Les matériaux ferroélectriques représentent une famille piézoélectrique dont la polarisation macroscopique peut être spontanément modifiée par l’application d’un champ électrique. Au cours de ce phénomène, les charges électriques (positives ou négatives) se dirigent vers différents pôles et la déformation du matériau au cours de ce que l’on appelle la transition de phase peut changer certaines de ses propriétés, telles que sa forme. Cette caractéristique rend les matériaux ferroélectriques particulièrement intéressants en tant qu’actionneurs souples, sans compter leur coût réduit et leur incroyable légèreté.
Les actionneurs ferroélectriques sont par exemple utilisés dans les imprimantes, au niveau desquelles la charge électrique modifie leur forme afin de contrôler avec précision les minuscules buses à encre. Cette malléabilité permet de déposer l’encre sur le papier pour obtenir les images ou les textes désirés.
Cependant, la plupart de ces matériaux sont constitués de céramiques rigides, entravant la polyvalence des dispositifs auxquels ils sont intégrés. En revanche, les polymères permettent de pallier ce problème de rigidité et offrent une gamme considérable de contraintes pouvant être induites. Ces contraintes sont également d’une intensité beaucoup plus élevée que celles utilisées pour les actionneurs en céramique.
Néanmoins, deux défis majeurs persistent, dont l’un réside concerne la force déployée. En effet, même si les actionneurs ferroélectriques en polymères peuvent résister à de plus grandes contraintes, ils génèrent tout de même beaucoup moins de force que ceux en céramique rigide. Le second défi réside dans le fait qu’un polymère ferroélectrique a généralement besoin d’un champ d’entraînement électrique élevé afin de changer de forme. Il s’agit notamment d’un paradoxe entre les combinaisons souplesse-malléabilité et force-résistivité, inhérente aux actionneurs souples, tel que susmentionné.
Les matériaux composites offrent une approche prometteuse pour contourner ce problème. Celui développé par les chercheurs de la nouvelle étude est un nanocomposite de polymères ferroélectrique percolatif. Ce dernier consiste à insérer des sortes d’autocollants de nanoparticules dans un polymère de fluorure de polyvinylidène. Les nanoparticules agissent ensuite comme un réseau de pôles interconnectés, au niveau du matériau.
Le réseau de nanoparticules permet alors d’induire une transition de phase, avec des champs électriques beaucoup plus faibles que la normale (inférieurs de 10%). Cet exploit est rendu possible grâce à une technique électrothermique utilisant le chauffage Joule (se produisant lorsqu’un courant électrique traversant un conducteur génère de la chaleur). Ce champ moteur réduit permet de larges applications dans les dispositifs médicaux, optiques et en robotique douce, incluant la manipulation d’objets ou le déplacement en terrain accidenté.