Des chercheurs américains ont découvert que la lumière du soleil et la pluie peuvent transformer certains composés de l’asphalte en hydrocarbures potentiellement dangereux. Ces produits toxiques menacent non seulement l’environnement, mais aussi les usagers de la route. Le responsable ? La substance qui est utilisée pour agglomérer les différents constituants de l’asphalte.
L’asphalte est un mélange d’agrégats et de liant hydrocarboné (du bitume). Ce liant, une substance noire et pâteuse, est fabriqué à partir de résidus de pétrole brut, qui sont récupérés à l’issue du processus de distillation. Particulièrement ductile, il possède également un grand pouvoir agglomérant ; c’est pourquoi c’est un matériau de choix pour les routes. Mais son impact sur la santé humaine reste à éclaircir…
Le soleil, générateur de substances toxiques
En 2001, une étude portait sur la lixiviation aqueuse d’hydrocarbures aromatiques polycycliques (HAP) présents dans le bitume, autrement dit, l’extraction de ces hydrocarbures via l’eau circulant sur et dans ce revêtement. Ce rapport était parvenu à la conclusion que la fuite de ces substances ne posait a priori pas de danger pour la santé humaine. En effet, les concentrations de HAP mesurées dans l’eau de lixiviation étaient inférieures aux limites fixées par plusieurs pays de la Communauté européenne pour les eaux de surface.
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Néanmoins, certains spécialistes, notamment le chimiste Ryan Rodgers, du MagLab de l’Université d’État de Floride, s’interrogent sur la stabilité à long terme de ces matériaux dérivés du pétrole et de leur impact sur l’environnement. « Connaissant leur complexité de composition et de structure, il semblait hautement improbable que [ces routes] soient inoffensives pour l’environnement », déclare Rodgers. En effet, les routes s’altèrent indéniablement avec le temps et l’on peut se demander à juste titre où disparaît la matière manquante.
Pour étudier plus précisément l’évolution du liant bitumineux sous des conditions climatiques standards, les chercheurs ont réalisé l’expérience suivante : ils ont créé un film de liant bitumineux sur une lame de verre, avant de l’immerger dans l’eau, puis de l’exposer à un simulateur solaire pendant une semaine. Un échantillon a été conservé dans l’obscurité pendant la même durée pour servir de témoin.
À l’aide d’une technique à ultra-haute résolution — appelée spectrométrie de masse par résonance cyclotronique ionique à transformée de Fourier (FT-ICR) —, les chercheurs ont ensuite analysé l’eau dans laquelle étaient plongés les deux échantillons, à différents moments de l’expérience. Ils ont alors découvert que l’énergie solaire réagissait avec les composés contenant de l’oxygène dans l’eau pour libérer des hydrocarbures potentiellement toxiques provenant du liant.
Ce processus, connu sous le nom de photo-oxydation ou photodégradation, se produit également avec les nappes de pétrole : sous l’effet du rayonnement UV, les polymères se désintègrent, leur masse molaire se réduit (les UV interagissent avec les liaisons carbone tertiaires pour former des radicaux libres), le matériau devient plus fragile et se décolore.
Des cancérogènes « possibles » à « avérés »
L’eau de l’échantillon exposé à la lumière solaire contenait plus de 25 fois la quantité de composés organiques relevés dans l’échantillon témoin ! Le rôle des rayons du soleil dans la production de ces composés toxiques est donc indéniable. En outre, les hydrocarbures contenaient plus que le nombre habituel d’atomes d’oxygène, ce qui contribue à la solubilité du composé. Au total, ils ont détecté dans l’échantillon irradié plus de 15’000 molécules différentes contenant du carbone. Les chercheurs ont également pu constater qu’avec le temps, de plus en plus de composés étaient ainsi lessivés par l’eau.
Certes, cette étude n’apporte pas de preuve réelle de toxicité du ruissellement de l’asphalte sur la santé, mais il est reconnu que les hydrocarbures aromatiques polycycliques sont de nature cancérogène. Le benzopyrène, par exemple, appartient au groupe 1 (cancérogène avéré ou certain) dans le classement du Centre international de recherche sur le cancer. Trois autres HAP sont classés cancérogènes probables (groupe 2A du CIRC) : cyclopenta[c,d]pyrène, dibenzo[a,h]anthracène et dibenzo[a,l]pyrène, et 11 autres sont classés cancérogènes possibles (groupe 2B).
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Les observations de Rodgers et son équipe sont donc plutôt préoccupantes. L’étape suivante consiste à étudier de plus près les réactions chimiques qui ont lieu, afin d’examiner comment les composés se transforment. Les chercheurs souhaitent notamment déterminer dans quelles mesures le liant asphaltique génère des contaminants solubles dans l’eau.
L’objectif à long terme est d’inciter les ingénieurs des travaux publics à envisager des alternatives, comme l’explique Sydney Niles, co-auteure de l’étude : « J’espère que les ingénieurs pourront utiliser ces informations pour trouver une meilleure alternative, qu’il s’agisse d’un isolant à appliquer sur l’asphalte pour le protéger ou d’un tout autre type de revêtement ».