Cela fait un peu plus de trois ans maintenant que le rover Yutu 2, de la mission chinoise Chang’e 4, explore la face cachée de la Lune. Ce côté de la Lune s’avère plus escarpé et constellé de cratères — il possède d’ailleurs le plus vaste cratère d’impact connu du Système solaire, le bassin Pôle Sud-Aitken. Le rover a déjà permis d’établir que la composition de la surface y était très différente de ce qui était attendu. Les images relayées par l’engin ont cette fois-ci révélé la présence d’étranges structures : les scientifiques de la mission ont en effet observé plusieurs petites sphères translucides, semblables à des billes de verre.
Si la présence de ces petites billes de verre sur le régolithe lunaire peut surprendre de prime abord, ce n’est pas la première fois qu’elles sont signalées : les astronautes des missions Apollo 15 et 16 avaient eux aussi collecté ce genre de globules vitreux, qu’ils ont ensuite rapportés sur Terre. Toutefois, ceux-ci étaient d’aspect très différent des billes récemment découvertes par Yutu 2. « Les globules nous ont tout simplement époustouflés, car ils sont si uniques sur la Lune », a déclaré dans un communiqué Zhiyong Xiao, professeur associé au Laboratoire de recherche planétaire sur l’environnement et l’astrobiologie de l’Université Sun Yat-sen.
Deux globules ont été repérés le long du parcours du rover, et deux autres sont en attente de confirmation (la résolution des images étant insuffisante). Ces sphères, de couleur brun clair, mesurent plus d’un centimètre de diamètre. Les billes de verre rapportées par les missions Apollo étaient pour la plupart plus petites, plus opaques, plus sombres et riches en clastes (des débris de roches). Sur la base de leur couleur, de leur morphologie, de leur géométrie et des âges isotopiques possibles, l’équipe a étudié l’origine des globules en se référant aux taux de refroidissement critiques de cristallisation de diverses roches lunaires.
Des billes probablement formées lors d’impacts météoritiques
Xiao a longuement étudié la tectite et les microtektites terrestres — des verres qui résultent d’impact de météorites — ainsi que les sphérules de verre microscopiques de la Lune, notamment celles contenues dans les échantillons de roche lunaire rapportés en décembre 2020 par la mission Chang’e 5. Le verre se forme lorsque le silicate est soumis à une température élevée. Sa présence sur la Lune n’est donc pas si surprenante : par le passé, notre satellite était le siège d’une intense activité volcanique et a subi de nombreux impacts de météorites à en croire les cratères qui recouvrent sa surface. Les deux événements ont pu apporter la chaleur nécessaire à la formation de verre.
Xiao et son équipe ne s’attendaient cependant pas à voir de tels globules dans la région d’atterrissage du rover, car ils sont assez différents des structures de verre trouvées sur la Lune jusqu’à présent. L’équipe confirme que ces globules sont bien des verres formés lors d’impacts météoritiques ; ils proviennent vraisemblablement de matériaux pauvres en fer, tels que des anorthosites pures — des roches magmatiques, composées principalement de plagioclase. La fonte à haute énergie est un produit courant dans les événements d’impact lunaire typiques et les cratères proches sont justement riches en anorthosites pures.
Mais les scientifiques n’ont malheureusement pas pu analyser la composition exacte de ces formations de verre. « Il est un peu regrettable que lorsque nous avons découvert ces verres, le rover venait juste de passer à côté d’eux et qu’aucune donnée de composition n’ait été obtenue, mais de tels globules pourraient être assez courants sur la face cachée de la Lune », explique Xiao.
Une potentielle ressource pour la future base lunaire
Si ces billes de verre sont effectivement répandues sur la face cachée de la Lune, elles constitueraient une ressource précieuse pour les futures missions lunaires habitées, en particulier pour établir une présence durable de l’Homme sur la Lune. Ces globules pourraient par exemple servir à produire du verre in situ pour la construction ou la fabrication d’outils. « Les anorthosites lunaires sont d’excellentes matières premières pour fabriquer du verre ayant une bonne qualité de transmission de la lumière », a déclaré Xiao.
En l’absence de données sur la composition, il est toutefois impossible d’affirmer avec certitude que ces billes de verre soient des homologues des tectites terrestres. Ces dernières ont été formées par des cratères de plus de 10 kilomètres de diamètre, dans des régions riches en eau : l’impact a généré une chaleur si intense que la croûte a fondu, s’est évaporée, puis s’est re-solidifiée sous forme de minuscules billes de verre.
De tels globules de verre pourraient avoir été fréquemment produits par d’anciens bassins d’impact sur la Lune, de sorte que leurs compositions et leurs âges isotopiques seraient très précieux pour comprendre l’histoire des premiers impacts. Mais il est également possible qu’elles se trouvaient simplement enfouies sous la surface, puis aient été excavées par les impacts. Dans tous les cas, ces petites sphères apparaissent comme une nouvelle cible de recherche prometteuse pour les futures missions lunaires.
Rappelons que par le passé, les scientifiques de la mission Chang’e 4 ont fait part de plusieurs découvertes « excitantes », qui se sont révélées fausses. On se souvient notamment du mystérieux « cube lunaire », qui n’était finalement qu’un simple rocher, ou encore de cette étrange substance gélatineuse, qui n’était autre qu’un mélange de roches fondues. La présence de ces billes de verre est plutôt crédible — étant donné que des structures de ce type ont été collectées lors de précédentes missions —, mais davantage de données sont attendues pour confirmer le phénomène.