Cela fera 10 ans au mois d’août que le rover de la mission Mars Science Laboratory explore le cratère Gale de la planète Mars. Son objectif ? Déterminer si un environnement propice à l’apparition de la vie a pu exister sur la planète rouge. Plus tôt cette année, l’équipe du projet a rapporté la présence de carbone dans plusieurs des échantillons collectés par le rover — un type de carbone qui pourrait être associé à des processus biologiques. De nouvelles analyses confirment que certains minéraux argileux martiens sont susceptibles de contenir des éléments organiques essentiels à la vie.
Le cratère Gale, d’environ 155 kilomètres de diamètre, a été choisi comme site d’exploration car les scientifiques soupçonnent qu’un lac s’y trouvait il y a des milliards d’années ; c’est donc l’endroit idéal pour trouver des traces de vie ancienne. Les instruments embarqués sur Curiosity lui permettent d’effectuer des forages et d’analyser la composition minéralogique et organique des prélèvements. Plus d’une trentaine d’échantillons de roches ont déjà été prélevés sur les pentes du mont Sharp (rebaptisé Aeolis Mons), qui se trouve au centre du cratère.
Depuis janvier 2019, Curiosity explore en particulier la région de Glen Torridon, une dépression topographique située sur la pente d’Aeolis Mons ; des signatures spectrales relativement fortes de minéraux argileux (principalement des smectites ferriques) avaient été détectées dans cette zone par spectrométrie infrarouge depuis l’orbite. Les minéraux argileux sont des indicateurs d’interactions passées entre l’eau et les sédiments, et constituent un milieu favorable à la préservation des composés organiques. C’est pourquoi les scientifiques s’intéressent tant à cette région de Mars. Ils rapportent aujourd’hui les résultats de deux années d’exploration.
Une région marquée par un potentiel changement climatique
Non seulement la région de Glen Torridon était ciblée pour sa richesse en minéraux argileux, mais cette unité argileuse est, en outre, recouverte d’une unité sulfatée — une caractéristique qui marque la transition minéralogique « argile-sulfate » observée sur la planète. Les experts estiment que cette transition pourrait découler d’un changement climatique majeur survenu entre le Noachien tardif et l’Hespérien précoce. L’objectif de la campagne de Glen Torridon était donc d’acquérir une compréhension détaillée du contexte géologique dans lequel les minéraux argileux se sont formés et de déterminer l’intensité de l’altération aqueuse subie par les sédiments. En d’autres termes, il était question de récolter des informations sur la façon dont l’habitabilité et les conditions environnementales de Mars ont évolué au fil du temps.
La géochimie du sol a été analysée grâce à l’instrument ChemCam — qui comprend un micro-imageur, un laser (qui vaporise la surface rocheuse), et un spectromètre. Depuis le début de la mission, huit formes majeures d’oxydes ont été identifiées par l’instrument : SiO2 , TiO2 , Al2O3 , FeOT , MgO, CaO, Na2O et K2O.
L’analyse des échantillons de la région de Glen Torridon a révélé quant à elle la présence de plusieurs matières organiques carbonées et soufrées. L’abondance de ces matériaux était bien plus importante que celle observée dans les autres échantillons du cratère Gale. La dépression de Glen Torridon comporte en outre plusieurs nouvelles molécules, qui sur Terre, sont associées à des processus biologiques. L’origine de ces molécules reste toutefois à éclaircir : elles peuvent être issues d’activités bactériennes, mais aussi d’une activité volcanique, d’une réaction photochimique ou encore d’un nuage de poussière cosmique.
La présence de composés soufrés dans les minéraux argileux ne suffit pas à affirmer que la vie ait pu un jour exister sur Mars. D’autres paramètres sont essentiels, tels que la présence d’eau et des températures relativement « clémentes », similaires à celles que l’on trouve sur Terre. Mais les minéraux argileux eux-mêmes sont la preuve que de l’eau liquide existait auparavant sur Mars — dans le cas contraire, ils n’auraient pu se former. Si la vie a existé sur Mars, il est donc fort probable que ces minéraux en conservent quelques traces.
Des preuves d’un ancien climat tempéré
Les analyses de ChemCam montrent que la répartition des minéraux n’est pas uniforme dans cette région de Mars. Les oxydes K2O, SiO2 et MgO sont les plus abondants. Par ailleurs, l’équipe de la mission note que la quantité d’eau qui a interagi avec les sédiments était suffisamment importante pour lessiver une partie des éléments chimiques les plus solubles.
Ce phénomène suggère qu’à l’époque où les sédiments ont été déposés, il régnait sur Mars un climat tempéré favorable aux précipitations, ce qui est en accord avec les indices d’activité lacustre et fluviatile déjà observés dans le cratère Gale au début de la mission de Curiosity, expliquent les scientifiques dans un communiqué. « La majeure partie de l’altération aqueuse des sédiments de Glen Torridon s’est produite tôt, peut-être avant ou pendant leur transport dans le cratère, et a probablement impliqué des fluides météoriques dilués à basse température et un rapport eau/roche relativement élevé », précisent les chercheurs dans JGR Planets.
Toutefois, les données recueillies suggèrent que Glen Torridon n’a pas subi un degré d’altération aqueuse significativement plus élevée que celle observée dans les couches inférieures d’Aeolis Mons, précédemment explorées par Curiosity. Cela implique que les signatures spectrales observées depuis l’orbite ne sont pas dues uniquement aux minéraux argileux, mais que d’autres facteurs tels que la couverture de poussière ou de sable et/ou la structure des affleurements du substrat rocheux sont à prendre en compte. Ces résultats permettront de mieux comprendre la minéralogie d’autres régions de Mars, où seules des observations orbitales sont possibles.