Cela fait plus de deux ans que le rover de la NASA de la mission Mars 2020 explore le cratère Jezero à la recherche d’indices d’une vie microbienne ancienne. De récentes images capturées par l’engin suggèrent qu’une rivière particulièrement profonde et rapide se déversait autrefois dans le cratère. Ces nouvelles preuves amènent les scientifiques à repenser à quoi ressemblaient les environnements aquatiques au début de l’histoire de Mars.
Il est largement admis que Mars avait de l’eau en abondance à l’époque du Noachien, il y a 4 milliards d’années. Il y a des années, grâce aux engins d’exploration spatiale — tels que le Mars Reconnaissance Orbiter (MRO) — les scientifiques ont remarqué plusieurs anciens bassins lacustres, ainsi que des vallées fluviales. En 2019, le rover Curiosity avait découvert des preuves d’un ancien lit de cours d’eau et d’étangs saumâtres peu profonds dans le cratère Gale. Depuis l’espace, les experts avaient également repéré une série de bandes courbes de roches stratifiées dans le cratère de Jezero, qu’ils ont appelée « l’unité curviligne ».
Quelques mois après s’être posé sur la planète rouge, les analyses réalisées par le rover Perseverance ont confirmé que le cratère Jezero abritait, il y a environ 3,6 milliards d’années, un lac de plusieurs dizaines de mètres de profondeur, alimenté par une rivière via un delta. Depuis son point d’atterrissage, le rover avait repéré, grâce à sa SuperCam, un escarpement révélant un assemblage de strates de sédiments typiques de dépôts fluviaux. C’est au niveau de cet ancien delta que se trouve actuellement le rover. L’équipe de la mission peut désormais examiner de plus près les traces d’écoulements et les couches sédimentaires qu’elle avait observées depuis l’espace.
Une rivière assez puissante pour déplacer de gros débris
La structure géologique présente des couches courbes évoquant un ancien écoulement d’eau. Mais les experts souhaitaient déterminer si cette eau provenait de ruisseaux relativement peu profonds — tels que ceux identifiés dans le cratère Gale — ou d’un système fluvial plus puissant (équivalent au Mississippi). De nouvelles images relayées par le rover apportent des éléments de réponse.
Plusieurs centaines d’images ont été capturées par la Mastcam-Z du rover, qui permet de prendre des images panoramiques en couleurs et 3D de la surface martienne. L’instrument s’est focalisé sur un endroit particulier de l’unité curviligne, surnommé « Skrinkle Haven ». Une fois assemblés, ces clichés ont révélé les différentes couches formées par les dépôts de sédiments laissés par la rivière. Les scientifiques ont notamment repéré la présence de gros grains de sédiments et de pavés ; or, seul un débit d’eau relativement élevé peut déplacer des roches de ce gabarit.
« Cela indique qu’il s’agit d’une rivière à haute énergie qui transporte beaucoup de débris. Plus le débit d’eau est puissant, plus il est facile de déplacer de gros morceaux de matériaux », confirme Libby Ives, chercheuse postdoctorale au Jet Propulsion Laboratory de la NASA. Cette ancienne rivière pourrait être l’une des rivières les plus profondes et les plus rapides jamais découvertes sur Mars. « C’est la première fois que nous voyons des environnements comme celui-ci sur Mars », a déclaré la scientifique adjointe du projet Perseverance, Katie Stack Morgan, du JPL.
Les couches incurvées de sédiments semblent disposées en rangées. Les scientifiques de la mission estiment qu’il pourrait s’agir des vestiges des berges d’une rivière qui se sont déplacées au fil du temps, ou des vestiges de bancs de sable qui se sont formés dans la rivière. Il est par ailleurs probable que ces couches aient été beaucoup plus hautes dans le passé, mais qu’elles aient subi l’érosion due au vent. « Le vent a agi comme un scalpel qui a coupé le sommet de ces dépôts », explique Michael Lamb, du Caltech, spécialiste des rivières et collaborateur de l’équipe scientifique de Perseverance.
Des couches sédimentaires anormalement élevées
À noter qu’il existe des dépôts du même type sur Terre, mais ceux-ci étant généralement recouverts de végétation, ils ne sont jamais aussi nettement visibles que sur Mars. Le rover s’est ensuite intéressé à une autre zone de l’unité curviligne, située à environ 450 mètres de Skrinkle Haven. Il s’agit d’une colline isolée de 250 mètres de haut, nommée « Pinestand », marquée d’immenses couches sédimentaires incurvées vers le ciel.
Mais l’incertitude demeure quant à leur formation : ces couches sont exceptionnellement hautes, bien trop hautes pour avoir été créées par un cours d’eau (selon les normes de la géologie terrestre). Certaines mesurent jusqu’à 20 mètres de haut ! « Ces couches sont anormalement hautes pour des rivières sur Terre. Mais en même temps, le moyen le plus courant de créer ce type de relief serait une rivière », a déclaré Libby Ives. La rivière en question devait donc être vraiment très puissante.
Pour étayer cette hypothèse, l’équipe continue d’étudier les images de la Mastcam-Z à la recherche d’indices supplémentaires. Elle examine également le sous-sol à l’aide du RIMFAX (Radar Imager for Mars’ Subsurface Experiment) du rover — un radar à pénétration de sol qui peut effectuer des détections à des dizaines de mètres sous terre.
Grâce aux résultats obtenus via les deux instruments, l’équipe espère en savoir plus sur le passé aquatique de Mars. « Nous sommes entrés dans une nouvelle phase de l’histoire de Jezero. […] Nous pensons aux rivières à une échelle différente de ce que nous avons connu jusqu’à présent », conclut Katie Stack Morgan.