C’est le seul projet qui unit encore le programme spatial russe et le reste du monde à l’heure actuelle, mais cette collaboration devrait elle aussi bientôt prendre fin. Dmitri Rogozine, directeur général de l’agence spatiale russe Roscosmos, a annoncé officiellement que son pays ne prendra plus part aux missions de l’ISS, vraisemblablement d’ici deux ans. Cette décision a été prise en raison des sanctions qui ont été imposées à la Russie suite à l’invasion de l’Ukraine.
Si la décision est prise, la date exacte n’a pas encore été communiquée. « Je ne peux dire qu’une chose : conformément à nos obligations, nous préviendrons nos partenaires un an à l’avance », a déclaré Rogozine à l’agence de presse russe indépendante TASS. Il est a priori prévu que les cosmonautes russes continuent de travailler sur la station spatiale jusqu’en 2024. Rogozine a déclaré lors d’une réunion avec des députés à la Douma d’État que dans la situation géopolitique actuelle, leur travail n’était pas efficace.
Pour rappel, la Russie ne s’était engagée dans le projet que jusqu’en 2024, tandis que la NASA et ses autres partenaires (les agences spatiales européenne, canadienne et japonaise) souhaitent maintenir les activités de l’ISS jusqu’en 2030 — il est prévu de l’envoyer en janvier 2031 dans le Pacifique, au point Nemo, où elle rejoindra d’autres débris spatiaux. Le retrait de la Russie signifie que ce sera désormais à la NASA d’entretenir la station jusqu’à la date prévue ; des fonds colossaux seraient nécessaires pour prolonger son fonctionnement et éviter qu’elle ne s’effondre, selon les dires de Rogozine rapportés par TASS.
Une fin d’exploitation sans cesse repoussée
L’annonce n’est finalement pas si surprenante. Dès le lendemain de l’invasion de l’Ukraine, Rogozine avait averti via son compte Twitter que toute sanction internationale contre la Russie imposée au cours de l’invasion ukrainienne « détruirait » le partenariat entre la NASA et Roscosmos concernant la station spatiale. Il a également précisé début avril que « des relations normales » entre les partenaires de l’ISS et la Russie ne pourraient être rétablies qu’après « la levée complète et inconditionnelle des sanctions illégales », rapporte Live Science.
Depuis les débuts de l’ISS — dont les premiers modules ont été mis en orbite en 1998 —, l’entretien et le maintien en orbite de la station incombaient principalement à la Russie, tandis que les États-Unis étaient chargés de fournir une assistance aux membres d’équipage à chaque instant. Aujourd’hui, la station est vieillissante et les dysfonctionnements sont courants, en particulier du côté des plus vieux modules. Ces problèmes techniques n’ont heureusement jamais mis l’équipage en danger.
Rappelons que les différents éléments de la station ont été conçus à l’origine pour une durée opérationnelle de 15 ans, cela fait donc un moment que les différents partenaires du projet « tirent sur la corde ». Malgré tout, la fin de l’exploitation de la station est sans cesse repoussée (2016, 2020, 2024, 2028, puis finalement, janvier 2031). À noter qu’en 2018, la NASA avait elle-même envisagé de se désengager du projet après 2024 — l’administration Trump souhaitant confier l’ISS au secteur privé.
Pendant plusieurs années, la Russie détenait le contrôle total de l’accès à l’ISS, son vaisseau Soyouz étant le seul à pouvoir emmener des astronautes sur la station depuis la fin des opérations de la navette spatiale américaine en 2011. Cette primauté a néanmoins pris fin grâce au développement d’autres engins spatiaux de sociétés privées, en particulier le Crew Dragon de SpaceX. Reste le problème du maintien en orbite de la station, qui a toujours été assuré par les propulseurs d’un vaisseau Soyouz qui y est amarré et par le vaisseau cargo Progress à chaque ravitaillement.
Vers le développement d’une nouvelle station russe ?
Pour se défaire totalement de cette dépendance russe, la NASA teste actuellement sa capacité à maintenir l’ISS en orbite grâce au vaisseau spatial Cygnus — un vaisseau sans équipage exploité par la société Northrop Grumman Space Systems, qui depuis 2013, apporte régulièrement des fournitures et du matériel à bord de la station. L’agence américaine doit désormais s’assurer qu’elle pourra tout prendre en charge en cas de retrait définitif de son partenaire historique.
Notons qu’en attendant, l’ISS continue de fonctionner normalement, alors qu’elle compte actuellement trois ingénieurs russes parmi son équipage (qui sont à bord depuis la mi-mars). Un ensemble de propositions sur la coopération post-2024 a été envoyé au gouvernement russe et à Vladimir Poutine. La Russie pourrait-elle sur sa décision ? Dans une interview accordée à l’agence TASS le 29 avril, Rogozine a déclaré qu’« une décision concernant l’avenir de l’ISS dépendra dans une large mesure de l’évolution de la situation à la fois en Russie et autour d’elle ».
Curieusement, la Russie a annoncé le même jour qu’elle commencerait à tester un nouveau schéma « ultra-court » de vol vers l’ISS à orbite unique en 2023-2024. « Je pense que nous essaierons peut-être de tester cette technologie sur un cargo spatial jusqu’à la fin de cette année et nous la testerons probablement sur un vaisseau spatial habité déjà en 2023-2024 », a déclaré Rogozine. Un programme peu cohérent avec le souhait de Roscosmos de mettre fin à la coopération internationale…
Quoi qu’il en soit, l’état actuel de la station, qui selon le vice-Premier ministre russe Yury Borisov « laisse beaucoup à désirer », reste un argument de taille pour se retirer définitivement du projet. La Russie se concentre d’ailleurs sur la construction de sa propre station orbitale : la société russe Energia Space Rocket Corporation a été chargée de préparer le premier module de base pour cette nouvelle station d’ici 2025. Fin février, Rogozine a par ailleurs déclaré qu’il serait difficile de mettre en œuvre simultanément le projet ISS et le projet de construction d’un nouvel avant-poste orbital en raison de contraintes financières.