Dans le modèle standard de la cosmologie, à l’issue du Big Bang et de l’ère de Planck, l’Univers primitif entre dans une brève et violente phase d’inflation durant laquelle il grandit démesurément. Bien que cette hypothèse résolve certains phénomènes observés dans l’Univers (comme l’homogénéité et l’isotropie), il n’existe encore aucun cadre physico-mathématique précis pour la décrire. Et selon un théoricien canadien, il se pourrait qu’il n’en existe jamais du fait de certains paramètres de censure intrinsèques à l’Univers, même lorsque l’on souhaite décrire les échelles les plus microscopiques.
Un physicien pense savoir pourquoi les modèles ne parviennent pas à fournir de description physique détaillée du phénomène appelé inflation : l’Univers ne nous le permet pas. Plus précisément, l’auteur décrit une nouvelle conjecture selon laquelle, concernant le jeune univers, « l’observateur devrait être protégé » de l’observation directe des plus petites structures du cosmos, celles situées à l’échelle de Planck.
En d’autres termes, par définition, les physiciens ne seront peut-être jamais capables de construire un modèle d’inflation en utilisant les outils habituels, et ils devront trouver un meilleur moyen. Cette nouvelle conjecture met le doigt sur une caractéristique particulière des modèles d’inflation. Ces modèles prennent de très, très petites fluctuations dans l’espace-temps et les agrandissent. Mais nous n’avons pas de théorie physique complète de ces petites fluctuations, et donc les modèles d’inflation qui ont cette caractéristique (presque tous) ne fonctionneront sans doute jamais.
Les observations de la structure à grande échelle de l’Univers et de la lumière restante du Big Bang ont révélé que dans l’Univers primitif, notre cosmos a probablement connu une période d’expansion incroyablement rapide. Cet événement remarquable, connu sous le nom d’inflation, a conduit l’univers à devenir des milliards de milliards de fois plus grand en une infime fraction de seconde.
Des fluctuations quantiques aux fluctuations macroscopiques de densité
Dans ce processus, l’inflation a également rendu notre cosmos un peu chaotique. Au fur et à mesure que l’inflation se développait, les plus petites fluctuations quantiques aléatoires — des fluctuations intégrées dans le tissu même de l’espace-temps — sont devenues beaucoup, beaucoup plus importantes, ce qui signifie que certaines régions étaient plus densément remplies de matière que d’autres.
Finalement, ces différences microscopiques ont grandi pour devenir macroscopiques, s’étendant dans certains cas d’un bout à l’autre de l’Univers. Des millions et des milliards d’années plus tard, ces minuscules différences de densité sont devenues les graines des étoiles, des galaxies et des plus grandes structures du cosmos.
Les astronomes soupçonnent fortement que l’inflation s’est produite dans les premiers instants de l’Univers, quand il avait moins d’une seconde ; même ainsi, ils ne savent pas ce qui a déclenché l’inflation, ce qui l’a alimenté, combien de temps elle a duré ou ce qui l’a coupée. En d’autres termes, les physiciens manquent d’une description physique complète de cet événement capital.
Ajoutant au mélange de mystères, dans la plupart des modèles d’inflation, les fluctuations à des échelles minuscules gonflent pour devenir des différences macroscopiques. Initialement, ces fluctuations font la longueur de Planck, soit environ 1,6 x 10-35 mètre. C’est l’échelle où la force de la gravité rivalise avec celle des autres forces fondamentales de la nature. À cette échelle, nous avons besoin d’une théorie unifiée de la physique pour décrire la réalité. Mais nous n’avons pas de telle théorie.
Nous avons donc un problème. La plupart (sinon tous) des modèles d’inflation exigent que l’Univers devienne si grand que les différences planckiennes deviennent macroscopiques. Mais nous ne comprenons pas la physique planckienne. Alors, comment pourrions-nous construire un modèle théorique de l’inflation si nous ne comprenons pas la physique sous-jacente ?
La conjecture de censure trans-planckienne
Peut-être que la réponse est : nous ne pouvons pas. Jamais… Ce concept est appelé la conjecture de censure trans-planckienne, ou TCC. Robert Brandenberger, cosmologiste théorique suisse-canadien et professeur à l’Université McGill à Montréal, a récemment rédigé un article sur la TCC. Selon Brandenberger, « la TCC est un nouveau principe qui contraint les cosmologies viables ».
Selon lui, la TCC implique que tout observateur dans notre monde à grande échelle ne peut jamais observer ce qui se passe à la toute petite échelle trans-planckienne. Même si nous avions une théorie de la gravitation quantique, la TCC déclare que tout ce qui vit sous le régime sous-planckien ne « traversera » jamais le monde macroscopique. Quant à ce que la TCC pourrait signifier pour les modèles d’inflation, ce n’est malheureusement pas une bonne nouvelle.
La plupart des théories de l’inflation reposent sur une technique connue sous le nom de « théorie effective des champs ». Comme nous n’avons pas de théorie qui unifie la physique à haute énergie et à petite échelle (des conditions comme l’inflation), les physiciens essaient de construire des versions à plus faible énergie pour progresser. Mais sous la TCC, ce genre de stratégie ne fonctionne pas, car lorsque nous l’utilisons pour construire des modèles d’inflation, le processus d’inflation se produit si rapidement qu’il « expose » le régime sous-planckien à une observation macroscopique.
Une solution apportée par la théorie des cordes ?
La cosmologie cordiste des gaz est une approche possible pour modéliser l’univers primitif sous la théorie des cordes, qui est elle-même un candidat prometteur pour une théorie unifiée de la physique classique et quantique. Dans le modèle cordiste des gaz, l’Univers ne subit jamais de période d’inflation rapide. Au lieu de cela, la période d’inflation est beaucoup plus douce et plus lente, et les fluctuations inférieures à la longueur de Planck ne sont jamais « exposées » à l’univers macroscopique.
La physique au-dessous de l’échelle de Planck ne grandit jamais pour devenir observable, et donc la TCC est satisfaite. Cependant, les modèles cordistes des gaz ne sont pas encore suffisamment détaillés pour être testés par rapport aux preuves observables d’inflation dans l’Univers. La TCC est liée à un autre point de friction entre l’inflation et les théories de la physique unifiée comme la théorie des cordes.
La théorie des cordes prédit un nombre énorme d’univers potentiels, dont notre cosmos particulier (avec son ensemble de forces et de particules et le reste de la physique) ne représente qu’un élément. Il semble que la plupart (sinon tous) des modèles d’inflation sont incompatibles avec la théorie des cordes. Au lieu de cela, ils appartiennent à ce que les théoriciens des cordes ont appelé le « marais » — la région des univers possibles qui ne sont tout simplement pas réalistes physiquement. La TCC pourrait être une expression du rejet de l’inflation dans le marais.
Il est peut-être encore possible de construire un modèle d’inflation traditionnel qui satisfasse la TCC (et en dehors du marais de la théorie des cordes) ; mais si la TCC est vraie, cela limite considérablement les types de modèles que les physiciens peuvent construire. Si l’inflation parvient à se poursuivre pendant une période suffisamment courte, tout en plantant les graines qui deviendront un jour des structures massives, la théorie de l’inflation pourrait fonctionner.
À l’heure actuelle, la TCC n’est pas prouvée ; ce n’est qu’une conjecture. Cela s’aligne avec d’autres lignes de pensée de la théorie des cordes, mais la théorie des cordes n’est elle-même pas prouvée expérimentalement. Mais des idées comme celle-ci sont utiles, car les physiciens ne comprennent fondamentalement pas l’inflation, et tout ce qui peut aider à aiguiser cette réflexion est bienvenu.