Nous savons enfin pourquoi les orques coulent toujours plus de bateaux en Europe

La réponse n'est pas celle que certains espèrent.

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| Center for Whale Research
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Depuis environ quatre ans, les orques ibériques semblent avoir pris la fâcheuse habitude de percuter et de couler des bateaux, un comportement étrange et atypique qui a laissé les scientifiques perplexes jusqu’ici. Après une enquête approfondie, une équipe de biologistes suggère que ce comportement découle d’une combinaison de curiosité et de tendance naturelle au jeu, poussant les jeunes orques à « s’amuser » de plus en plus violemment avec les bateaux.

Depuis mai 2020, la sous-population d’orques ibériques (Ornicus orca) s’est mise à approcher fréquemment les yachts et les voiliers naviguant entre le détroit de Gibraltar et la côte Atlantique de la péninsule ibérique. Selon l’Atlantic Orca Working Group (GTOA), au moins 673 interactions se sont produites jusqu’à présent, allant de simples encerclements aux violentes attaques détruisant et coulant les embarcations. Parmi ces rencontres, au moins 4 se sont soldées par le naufrage du bateau.

Durant entre 25 minutes et 2 heures, la plupart des interactions se produisent entre le mois de mai et septembre, quand les bateaux de plaisance sont plus nombreux dans la région. Et bien que quelques rencontres aient été signalées la nuit, la plupart se font en journée, à partir de 10 heures du matin. Les bateaux les plus approchés sont ceux de taille moyenne (de 12 mètres de long au moins). La dernière interaction en date a eu lieu le 12 mai dans le détroit de Gibraltar avec un yacht à voile de 15 mètres, qui a coulé rapidement après l’attaque d’un nombre indéterminé d’orques.

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D’après une enquête codirigée par l’International Whaling Commission, ce comportement tiendrait davantage d’un jeu pour les orques, bien qu’il semble a priori agressif. Sociaux et extrêmement intelligents, les épaulards sont notamment connus pour « jouer » avec des objets et propager des tendances de comportement entre eux.

Un comportement adopté majoritairement par les jeunes

Dans le cadre de leur enquête, les chercheurs ont collecté des données sur les 40 orques ibériques résidant dans la péninsule. En danger critique d’extinction selon l’UICN, cette population ne compte que quelques dizaines d’individus. Les interactions avec les bateaux impliquaient spécifiquement un groupe de 15 individus plus curieux que les autres.

Les chercheurs ont constaté que le groupe était majoritairement composé de mâles juvéniles et adolescents, connus pour leur tendance accrue à explorer et à expérimenter. Les animaux ont commencé à approcher les bateaux et à donner des coups de tête ludiques qui se sont intensifiés à mesure qu’ils grandissaient. À noter que leur tendance à percuter les gouvernails des bateaux a été observée depuis 2017, mais n’allait pas encore jusqu’à causer des dommages conduisant au naufrage des embarcations.

Contrairement à ce que l’on pourrait penser, ce comportement s’apparenterait ainsi davantage à un jeu plutôt qu’à une agression. D’un autre côté, aucune orque de plus de 25 ans (c’est-à-dire adulte) n’a été observée en train d’adopter ce comportement. Les experts soupçonnent que les plus jeunes ont vu des orques plus âgées « jouer » avec des gouvernails puis les ont copiés.

« Les épaulards sont connus pour jouer avec des objets ou d’autres animaux dans leur environnement au point de les endommager. Les interactions comportent plus d’éléments compatibles avec un comportement à la mode ou un jeu/socialisation qu’avec une agression. L’utilisation de termes tels que ‘attaque’ pour décrire ces interactions est donc inappropriée », ont écrit les experts dans leur rapport.

Un comportement similaire a par exemple été observé chez les orques résidant dans le nord-ouest du Pacifique. Alors qu’ils se nourrissent principalement de saumons, elles ont été observées jouant avec des marsouins communs (Phocoena phocoena) jusqu’à les tuer (sans les manger). Ces orques sont aussi célèbres pour avoir passé l’été 1987 à porter des saumons morts sur leur tête en guise de chapeau.

Selon les chercheurs, le comportement des orques ibériques avec les bateaux pourrait être une évolution similaire d’une interaction initialement moins nocive. « Certaines populations d’orques peuvent développer des ‘modes’ comportementales inhabituelles et temporaires et d’autres idiosyncrasies [ou caractères individuels] qui ne semblent pas servir un objectif d’adaptation évident », expliquent-ils.

Plus de temps à consacrer au jeu ?

D’un autre côté, le rétablissement de la population de thon rouge dans les eaux de la péninsule ibérique a aussi favorisé l’établissement des orques dans la région. En outre, le réchauffement des océans a fait que les thons se trouvent en abondance dans les eaux du sud de l’Europe de manière permanente, plutôt que saisonnière. Se nourrissant exclusivement de gros poissons, les orques ibériques passeraient ainsi désormais moins de temps à chercher de la nourriture et peuvent donc se consacrer davantage aux jeux.

Les autorités maritimes du sud de l’Europe espèrent que cette tendance des orques à s’en prendre aux bateaux s’estompera bientôt, à l’instar d’un phénomène de mode. En attendant, elles exhortent les navigateurs à ne pas trop s’éloigner des côtes et à ne pas jeter l’ancre en eau libre dans les zones à haut risque.

orques espagne
Carte montrant la zone où les autorités espagnoles recommandent d’éviter de naviguer en raison de la forte probabilité de présence d’orques, entre le golfe de Cadix et le détroit de Gibraltar. © Ministero de transportes y movilidad sostenible/Gobernio de España

Par ailleurs, le groupe de recherche recommande de ne pas utiliser de mesures de dissuasion, car elles pourraient nuire à l’espèce. Il est important de savoir que depuis 2020, certaines mesures (pétards, décharges électriques, …) ont été utilisées, mais les orques continuent de s’en prendre aux bateaux. Selon les experts, elles sont non seulement inefficaces, mais pourraient également exciter davantage la tendance des animaux à s’approcher des embarcations et à les détruire, ce qui mettrait les marins en danger.

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