Les hallucinations auditives, ou paracousies, se manifestent comme des perceptions sensorielles sans stimulus externe ou interne et constituent une caractéristique fréquente de la schizophrénie. Une récente étude menée par des chercheurs chinois s’est penchée sur les mécanismes cérébraux induisant ces hallucinations. Leurs résultats indiquent une corrélation étroite entre ces dernières et des dysfonctionnements de signaux cérébraux spécifiques, ouvrant potentiellement la voie à des traitements plus ciblés et à une compréhension plus approfondie de cette pathologie.
Les patients souffrant de pathologies neuropsychiatriques avancées, telles que la schizophrénie, sont souvent en proie à des hallucinations auditives. Ils peuvent par exemple percevoir des voix en l’absence de stimulation sonore, ce qui les empêche parfois de les distinguer des voix extérieures (réelles). De précédentes études ont déjà mis en évidence un dysfonctionnement spécifique de certaines voies neuronales, connu sous le nom de « décharge corollaire » (DC), qui serait au cœur de ce type d’hallucination.
La DC joue un rôle de signal inhibiteur ayant pour fonction principale d’atténuer le son de la voix lorsque l’on parle. Dans un cerveau sain, la DC permet ainsi de faire la distinction entre ses propres actions et les événements extérieurs. Cependant, chez les patients atteints de schizophrénie, ce signal se trouve perturbé. La décharge corollaire semble « brisée », ne parvenant plus à supprimer les sons auto-générés.
Des chercheurs de l’Université Jiao Tong de Shanghai avancent que le simple dysfonctionnement de la décharge corollaire ne suffit pas à expliquer le phénomène dans son ensemble. Ils suggèrent que, parallèlement à cette perturbation, la copie d’efférence (EC), une zone clé du cerveau, est également concernée. En temps normal, elle filtre le bruit auto-généré. Cependant, chez les schizophrènes, l’EC devient hyperactive, intensifiant les sons auto-générés.
« Les personnes affectées par des hallucinations auditives peuvent ‘entendre’ des sons en l’absence de stimuli externes », rappellent les auteurs de l’étude. « Les connexions fonctionnelles altérées entre les systèmes moteur et auditif du cerveau entraînent une perte de la capacité à distinguer l’imagination de la réalité », ajoutent-ils.
Un dysfonctionnement manifeste de la décharge corollaire et de la copie d’efférence
Pour confirmer son hypothèse, l’équipe de recherche a commencé par mener des investigations approfondies de la littérature scientifique. « En examinant les recherches en neurosciences cognitives sur les hallucinations auditives, on constate qu’elles mentionnent souvent une perte de soi, une perte d’autonomie, une rupture des fonctions d’inhibition qui séparent le monde extérieur du monde intérieur », explique Xing Tian, auteur principal de l’étude et professeur de sciences neuronales et cognitives à l’Université de New York à Shanghai. Il ajoute : « Mais il doit bien exister un mécanisme générant ces sentiments étranges ».
Par suite, les chercheurs, dirigés par le neuroscientifique Fuyin Yang de la faculté de médecine de l’Université Jiao Tong, ont analysé les signaux cérébraux de 40 patients atteints de schizophrénie. La moitié d’entre eux présentaient des hallucinations auditives, tandis que l’autre moitié n’en souffrait pas. Les participants étaient dans un état stable et sous traitement antipsychotique au moment de l’analyse. Des individus en bonne santé ont également été inclus comme témoins.
Au cours de l’expérience, les patients ont été soumis à deux séries de tests. La première impliquait une préparation spécifique à la parole, où ils devaient écouter puis prononcer des syllabes courtes. La seconde, une préparation générale, les informait uniquement qu’ils auraient à prononcer des mots sans en connaître la nature. Pendant ces deux phases, les ondes cérébrales des patients ont été mesurées par électroencéphalogramme (EEG).
Les résultats, publiés dans PLOS Biology, ont mis en évidence des différences marquées dans la DC entre le groupe témoin, les patients schizophrènes sans paracousie et ceux avec hallucinations auditives. Les chercheurs ont constaté que les deux groupes de patients schizophrènes présentaient une capacité réduite de la DC, signe d’une altération de ce mécanisme inhibiteur. Ce phénomène a déjà été observé chez des modèles murins schizophrènes dans le cadre d’études antérieures.
L’équipe a également observé que seuls les patients sujets à des hallucinations auditives présentaient une EC hyperactive. Le signal, amplifié de manière erratique, brouille davantage la perception du son extérieur tout en intensifiant les sons internes. Chez le groupe témoin et les patients schizophrènes sans paracousie, la copie d’efférence n’augmente que lorsque la personne s’apprête à prononcer un mot spécifique. « L’activation imprécise de la copie d’efférence conduit à une sensibilisation variable du cortex auditif », ont déclaré les chercheurs.
Vers des traitements ciblés
Cette étude met en lumière les rôles du dysfonctionnement du système de DC et du système d’EC hyperactif dans les hallucinations auditives chez les individus souffrant de schizophrénie. Parallèlement, les chercheurs insistent sur l’importance de considérer l’interaction entre les systèmes moteurs et sensoriels dans l’étude de la schizophrénie. « Bien qu’il s’agisse d’hallucinations auditives, la cause ne réside pas uniquement dans le système auditif », explique Tian. Il ajoute : « Peut-être que la cause se trouve dans les connexions entre le système moteur et le système auditif. Si nous avons raison, le traitement ne devrait pas systématiquement cibler le système auditif ».
Avec cette nouvelle compréhension du dérèglement cérébral dans le cadre de la schizophrénie accompagnée de paracousie, les chercheurs espèrent développer des traitements ciblés. Bien que cette étude se concentre principalement sur la schizophrénie, elle pourrait également éclairer d’autres pathologies impliquant une altération de la perception de la réalité.