La matière a bien plus à offrir que les simples liquides, solides et gaz, sans oublier le plasma. Une équipe internationale de chercheurs, dirigée par l’Université Harvard, a documenté un nouvel état de la matière : le liquide de spin quantique. Ses propriétés pourraient permettre la fabrication d’ordinateurs quantiques plus fiables.
En 1973, le physicien Philip W. Anderson a théorisé l’existence d’un nouvel état de la matière qui a suscité un intérêt particulier dans le domaine, notamment dans la course aux ordinateurs quantiques. Ce nouvel état de la matière porte le nom de « liquide de spin quantique » et, contrairement à ce que le nom laisse croire, n’a rien à voir avec les liquides standard.
Il s’agit plutôt « d’aimants magnétiques » qui ne gèlent pas, même à très basse température, et de la façon dont les électrons qu’ils contiennent se comportent. Dans les aimants ordinaires, lorsque la température atteint un certain seuil inférieur, les électrons se stabilisent et forment une matière solide aux propriétés magnétiques. Dans un liquide de spin quantique, les électrons ne se stabilisent pas lorsqu’ils refroidissent, ne se transforment pas en matière solide et sont désordonnés (comme dans un liquide).
La frustration magnétique
Les liquides de spin sont donc la manifestation d’un état magnétique. Lorsque l’on refroidit la matière, les spins atomiques interagissent plus fortement entre eux et les liquides de spin tirent leurs propriétés remarquables d’un phénomène appelé « frustration magnétique ». Tandis que le ferromagnétisme désigne par exemple des aimants dont les spins s’alignent dans la même direction, l’antiferromagnétisme se manifeste par un alignement antiparallèle des spins.
Il se trouve que, parfois, certaines configurations ne permettent pas aux spins des électrons de s’aligner dans une seule direction (parallèle ou antiparallèle), et certaines interactions sont alors « frustrées ». C’est cette frustration magnétique qui implique un maintien du « désordre » des spins, même à basse température, et un maintien de « l’état liquide ».
Utilisation d’un simulateur quantique programmable
Déjà prédit il y a 50 ans, cet état de la matière n’avait jamais été observé auparavant. Aujourd’hui, l’équipe de physiciens dirigée par Harvard déclare l’avoir enfin documenté expérimentalement, et ses travaux sont décrits dans une nouvelle étude publiée dans la revue Science.
L’équipe de recherche a entrepris d’observer cet état de la matière en utilisant le simulateur quantique programmable que le laboratoire a initialement développé en 2017 — utilisé pour étudier une multitude de processus quantiques complexes. Ce simulateur est un type particulier d’ordinateur quantique, qui permet aux chercheurs de créer des formes programmables telles que des carrés, des nids d’abeilles ou des treillis triangulaires, afin de concevoir différentes interactions et enchevêtrements quantiques entre des atomes ultra-froids.
Les scientifiques de Harvard ont utilisé le simulateur pour créer leur propre motif de treillis frustré magnétiquement, en y plaçant les atomes pour qu’ils interagissent et s’emmêlent. Ils ont ensuite mesuré et analysé les chaînes qui reliaient les atomes après l’enchevêtrement de toute la structure. La présence et l’analyse de ces chaînes, appelées chaînes topologiques, signifient que des corrélations quantiques se produisent et que l’état liquide de spin quantique de la matière est apparu.
Objectif : faire progresser les technologies quantiques
Les différentes propriétés des liquides de spin quantiques ont des applications prometteuses qui pourraient être utilisées pour faire progresser les technologies quantiques, telles que les supraconducteurs à haute température et les ordinateurs quantiques.
Les chercheurs prévoient d’utiliser le simulateur quantique programmable pour continuer à étudier les liquides de spin quantiques et la manière dont ils peuvent être utilisés pour créer des qubits plus robustes, résistant au bruit et aux interférences externes.
« C’est un rêve pour l’informatique quantique », a déclaré dans un communiqué Giulia Semeghini, auteure principale de l’étude. « Apprendre à créer et à utiliser de tels qubits représenterait une étape majeure vers la réalisation d’ordinateurs quantiques fiables. Il y a maintenant beaucoup plus à explorer ».