Sécheresses, vagues de chaleur extrême et incendies majeurs touchent désormais le monde entier. De nombreuses villes ont battu cet été leur record de températures estivales. Malgré les efforts internationaux visant à lutter contre le réchauffement climatique, peut-être avons-nous déjà atteint un point de non-retour ? Et si nous ne parvenions pas à maintenir l’augmentation des températures sous les +2 °C ? Dans cette éventualité, des scientifiques travaillent à des solutions « de la dernière chance », des solutions de géo-ingénierie qui permettraient de limiter les dégâts, voire d’inverser le changement climatique.
La géo-ingénierie regroupe l’ensemble des techniques qui permettent de manipuler le climat et l’environnement de la Terre. Inspirée par une idée suggérée par l’astronome Robert Angel, une équipe du MIT travaille actuellement sur un concept de bouclier solaire, dont le rôle serait d’atténuer le rayonnement solaire qui parvient jusqu’à notre planète. En effet, si les efforts visant à atténuer les émissions de CO2 s’avéraient insuffisants pour inverser le changement climatique, il serait déjà lors indispensable d’agir directement sur notre principale source de chaleur.
Le projet, baptisé « Space Bubbles », consiste en une sorte de radeau géant composé de bulles gelées (à peu près de la taille du Brésil selon l’équipe), qui serait positionné au point de Lagrange L1, entre le Soleil et la Terre. La structure serait conçue pour refléter une partie de la lumière solaire. L’avantage de cette approche par rapport à d’autres projets de géo-ingénierie — tels que la dissolution de produits chimiques dans la stratosphère pour augmenter son albédo — c’est qu’elle n’impacterait pas directement la biosphère terrestre.
Des bulles à film mince directement gonflées dans l’espace
En matière de géo-ingénierie, la géo-ingénierie solaire a été peu explorée. En 1989, James Early présentait dans le journal de la British Interplanetary Society un concept de « mince bouclier de verre » pour compenser les effets de serre causés par l’accumulation de CO2. Ce bouclier devait être construit à partir de matériaux lunaires et positionné au premier point de Lagrange du système Terre-Soleil afin d’absorber une partie du rayonnement. Un tel bouclier diminuerait la lumière incidente de 1,8% — ce qui suffirait à inverser le réchauffement actuel. Se posaient à l’époque des problèmes liés à la quantité de matériel nécessaire pour fabriquer ce pare-soleil géant et l’énergie nécessaire pour le lancer vers sa destination.
À partir de ces travaux, Roger Angel a envisagé en 2006 non pas un, mais plusieurs petits boucliers solaires. Cet essaim de boucliers viserait à dévier une partie de la lumière plutôt qu’à l’absorber, afin de minimiser le décalage d’équilibre de L1 causé par la pression de rayonnement, expliquait le scientifique à l’époque. Malgré une masse réduite par rapport au projet de James Early et la mise en œuvre d’une accélération électromagnétique pour échapper à la gravité terrestre, suivie de la propulsion ionique (pour limiter les coûts de transport), la fabrication et le déploiement de cet essaim de pare-soleil restaient très complexes.
Quelques autres idées ont émergé depuis, mais aucune n’a dépassé le stade de l’étude de faisabilité approximative. Alors que nous nous dirigeons peu à peu vers un état d’urgence climatique, une équipe du MIT s’est repenchée sur la proposition d’Angel : elle propose de déployer un ensemble de radeaux à bulles, composés de réseaux de petites bulles gonflables interconnectées près du point de Lagrange L1. « Nous pensons que le gonflement de sphères en film mince directement dans l’espace à partir d’un matériau fondu homogène – comme le silicium – peut fournir la variation d’épaisseur qui réfracte un spectre d’ondes plus large et nous permet d’éviter la nécessité de lancer de grands éléments de film structurel », expliquent les chercheurs.
Un bouclier qui pourrait être mis en place avant la fin du siècle
Il est question ici de fabriquer les sphères réfléchissantes directement dans l’espace, ce qui limiterait les coûts de transport. La solution serait en outre complètement réversible : les bulles pourraient être détruites simplement en rompant leur équilibre de surface, ce qui minimiserait aussi les débris spatiaux par rapport à d’autres approches. Il pourrait donc s’agir de l’une des structures à couche mince les plus efficaces pour dévier le rayonnement solaire.
Reste à déterminer le matériau et la technologie adéquats pour fabriquer et maintenir de telles sphères dans l’espace. L’équipe a d’ores et déjà testé la fabrication de bulles en laboratoire, dans les conditions de l’espace extra-atmosphérique ; ils s’intéressent notamment aux mélanges fondus à base de silicium et aux liquides ioniques renforcés de graphène, qui ont des pressions de vapeur ultra-basses et des densités relativement faibles. Les propriétés thermiques et optiques des matériaux seront également à prendre en compte pour l’étude de faisabilité.
Selon les chercheurs, l’épaisseur minimale du film liquide formant les bulles peut théoriquement être aussi faible que 20 nanomètres ; mais pour dévier la lumière solaire, elle doit être comparable aux longueurs d’onde solaires, soit de l’ordre de 400 à 600 nanomètres. Finalement, le radeau de bulles aurait une densité de masse inférieure à 1,5 g/m2. Son emplacement optimal serait situé un peu plus près du Soleil, à environ 2,5 millions de kilomètres de la Terre, afin de réduire la pression de rayonnement.
Plusieurs questions restent à étudier avant d’envisager la concrétisation d’un tel projet. Il faut notamment réfléchir à l’entretien du bouclier une fois en place, car les bulles seront particulièrement fragiles. Il est par ailleurs essentiel de réfléchir à l’impact qu’aura la réduction du rayonnement solaire sur notre planète et à la phase de transition qui sera nécessaire tant lors de la mise en place du bouclier qu’à son élimination lorsqu’il ne sera plus utile. Selon les études préliminaires, 50 à 200 ans d’activité seront nécessaires pour inverser les effets du réchauffement.
Une estimation de Roger Angel situe à environ 0,5% du PIB mondial sur 50 ans le coût d’un tel projet. Si les expérimentations préliminaires en laboratoire s’avèrent concluantes, des recherches supplémentaires viseront à améliorer sa conception et des tests seront effectués en orbite basse. « Nous pensons qu’une fois qu’une solution technique est identifiée, sa mise en œuvre pourrait avoir lieu avant la fin du siècle », estiment les chercheurs.