En Italie, comme dans de nombreux autres pays, les précipitations se font rares. Le fleuve Pô, qui s’étend sur 652 kilomètres, connaît actuellement sa pire sécheresse depuis 70 ans : il n’a pas reçu une seule goutte de pluie depuis plus de 110 jours. La situation menace les récoltes et certaines villes ont déjà mis en place des restrictions pour rationner l’eau. Cette sécheresse a d’autres conséquences étonnantes : le niveau du fleuve est si bas qu’une barge datant de la Seconde Guerre mondiale a refait son apparition.
Le Zibello, une barge de 50 mètres de long utilisée pour le transport du bois pendant la Seconde Guerre mondiale, a coulé en 1943. Habituellement, l’embarcation est en grande partie dissimulée sous les eaux du Pô, mais pour la première fois, elle est bien visible de tous. « Ces dernières années, vous pouviez voir la proue du bateau, donc nous savions qu’il était là, mais voir le navire si exposé en mars, alors que c’était essentiellement encore l’hiver, était très dramatique. Je n’ai jamais vu une telle sécheresse à cette période de l’année », a déclaré au Guardian Alessio Bonin, un photographe amateur.
La situation est en effet très inquiétante, au point que les riverains craignent que leur fleuve disparaisse complètement. Ils peuvent aujourd’hui marcher sur de larges étendues de sable, dans le lit du fleuve. D’autres vestiges du passé ont également refait surface, comme un char allemand trouvé près de Mantoue et les vestiges d’une ancienne cité médiévale du Piémont. Plusieurs régions du nord de l’Italie — la Lombardie, le Piémont, la Vénétie et l’Émilie-Romagne — ont annoncé qu’elles demanderaient à ce que l’état d’urgence soit déclaré. L’eau est déjà rationnée dans 125 communes.
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Vers des pénuries d’eau potable et d’eau d’irrigation
La vallée du Pô, surnommée « le grenier à blé de l’Italie », est une zone économique cruciale pour le pays et constitue l’une des zones agricoles les plus importantes d’Europe. Elle produit près de 40% des ressources alimentaires nationales (blé, riz, tomates, fromage, raisins, etc.). Les autorités craignent que les populations locales et les agriculteurs de tout le nord de l’Italie ne manquent gravement d’eau potable et d’eau d’irrigation. Les agriculteurs peinent à préserver leurs cultures et la plupart s’attendent à « une année désastreuse ». La confédération des agriculteurs italiens estime que les rendements du blé — qui dépend entièrement de la pluie — pourraient chuter de 20 à 40% cette année.
La sécheresse menace également le fonctionnement des centrales hydroélectriques, dont plusieurs seront mises à l’arrêt si le Pô continue à s’assécher de la sorte. Il se trouve que 55% de l’énergie renouvelable provenant des centrales hydroélectriques italiennes reposent sur le Pô et ses affluents. Les experts craignent que le manque d’énergie hydroélectrique ne contribue à l’augmentation des émissions de dioxyde de carbone — car il faudra alors produire davantage d’électricité avec du gaz naturel. Un comble alors que la situation est elle-même causée par le réchauffement climatique…
Aussi dramatique qu’elle soit, la situation n’est guère surprenante : depuis le mois de décembre, la pluviosité est inférieure de 60% à la normale et les chutes de neige ont diminué de 70%. Il n’a pas plu depuis trois mois, alors qu’il devrait pleuvoir toutes les une à deux semaines. Les nappes d’eau souterraines sont épuisées et les neiges des glaciers alpins environnants — qui alimentent habituellement le fleuve en été — diminuent d’année en année sous l’effet des températures trop élevées (aujourd’hui supérieures de 2 °C à la moyenne saisonnière).
« Cette sécheresse est unique dans l’histoire en raison de la combinaison de deux anomalies, le manque de pluie et la température élevée, qui sont directement liés au changement climatique », explique Luca Mercalli, président de la Société météorologique italienne. « Nous avons récemment mesuré le niveau de neige à 3000 mètres d’altitude. Habituellement, en juin, il y a deux mètres, mais cette année, non seulement il n’y a pas de neige, mais les fleurs fleurissent déjà », ajoute-t-il.
Un débit six fois inférieur à la normale
Le niveau du fleuve se trouve actuellement à 2,9 mètres en dessous de la hauteur de la jauge zéro — un chiffre nettement inférieur à la moyenne saisonnière. Les niveaux les plus faibles n’étaient habituellement mesurés qu’au mois d’août. Le débit du Pô est d’environ 300 m3/s à Boretto (un village riverain), alors qu’à cette époque, au même endroit, il est normalement de 1800 m3/s ! Les quelques averses qui se sont produites en juin étaient malheureusement très localisées et n’ont pu être absorbées par la terre (celle-ci étant trop sèche) pour ré-alimenter les aquifères.
Curieusement, le niveau de l’eau du delta du Pô, avant que celui-ci ne se jette dans la mer Adriatique, est plus élevé que celui observé en amont. « Cela s’explique par le fait que le vide laissé par le manque d’eau du fleuve est rempli par l’eau de mer, que l’on peut voir refluer vers l’amont à certains endroits », explique Giancarlo Mantovani, directeur d’un consortium qui protège le parc régional. Le phénomène est malheureusement très mauvais signe pour les agriculteurs : l’eau salée de la mer s’infiltre dans les terres et empoisonne les cultures. Des barrières ont été installées pour limiter la remontée d’eau salée.
La vallée du Pô a connu des sécheresses en 2007, 2012 et 2017, et les scientifiques affirment que leur prévalence croissante est une indication supplémentaire de la crise climatique. L’assèchement du Pô menace malheureusement toute une population qui dépend entièrement de ce fleuve pour vivre. « C’est une catastrophe à 360 degrés », a déclaré Mantovani.
Le plan de résilience prévoit une augmentation des prélèvements dans les lacs alpins, une diminution de l’eau destinée aux centrales hydroélectriques et un rationnement de l’eau dans les régions situées en amont, rapporte l’Associated Press. Certains citoyens pourraient notamment être privés d’eau du robinet pendant quelques heures la nuit. Une association nationale de défense de l’environnement invite par ailleurs les agriculteurs à utiliser des tuyaux enterrés pour transporter l’eau, afin de limiter les pertes par évaporation observées lors des irrigations aux jets d’eau.