Les colibris sont des oiseaux extraordinairement agiles, capables de se faufiler à travers les environnements les plus encombrés pour atteindre les fleurs et les insectes les plus difficiles d’accès. Cependant, la façon exacte dont ils exécutent ces manœuvres constitue une énigme de longue date. Décryptant leur dynamique de vol, une nouvelle étude révèle qu’ils utilisent en réalité deux techniques de vol distinctes pour passer à travers de minuscules ouvertures faisant jusqu’à la moitié de leur envergure.
Généralement, la majorité des oiseaux déploient leurs ailes librement dans les airs, sans rencontrer beaucoup d’obstacles. En revanche, ceux qui se nourrissent de nectar, de fruits et de graines doivent se déplacer à travers des environnements parfois très encombrés et franchir de minuscules interstices. Pour ce faire, ils replient leurs ailes et les rapprochent de leurs corps afin de gagner de l’espace. Cependant, les colibris (ou oiseaux-mouches) eux, ont perdu la capacité de replier leurs ailes au niveau des poignets et des coudes. Or, ils font preuve d’une dynamique de vol remarquable et surpassent la plupart des oiseaux de plus grande taille en matière d’agilité.
Les colibris peuvent par exemple effectuer des vols stationnaires et à reculons, ainsi que des manœuvres acrobatiques ultrarapides et quasi omnidirectionnelles. Pour permettre ces différentes manœuvres, leurs ailes doivent à la fois fournir la force et la vitesse nécessaires et effectuent pour cela entre 40 et 50 battements par seconde. Contrairement aux insectes, ces oiseaux modifient considérablement la cinématique de leurs ailes et le vecteur de force aérodynamique par rapport à leur corps, afin de générer des accélérations linéaires et rotationnelles presque omnidirectionnelles. Dans certaines conditions, ils sont capables de passer d’un vol stationnaire à une orientation corporelle radicalement différente en moins de 0,2 seconde (l’équivalent de 5 ou 6 cycles de battements d’ailes) !
Arborez un message climatique percutant 🌍
D’un autre côté, « à moins que les colibris ne mettent en œuvre des stratégies distinctes pour traverser des ouvertures étroites, ils pourraient être incapables de pénétrer dans des espaces de moins d’une envergure de large [l’étendue de leurs ailes déployées] », explique l’auteur principal de la nouvelle étude, Marc Badger, de l’Université de Californie à Berkeley (UCB). Bien qu’ils soient incapables de replier leurs ailes (au niveau des coudes et des poignets), ces oiseaux peuvent en effet se faufiler à travers les feuillages les plus denses et les corolles les plus profondes et les plus incurvées. Comment les colibris sont-ils capables d’exécuter des manœuvres aussi complexes en un clin d’œil ? C’est ce que Badger et ses collègues ont cherché à déterminer dans leur étude, détaillée dans le Journal of Experimental Biology.
Franchir des ouvertures plus petites que leur envergure
Afin d’observer la dynamique de vol des colibris (des colibris d’Anna plus précisément, ou Calypte anna), les experts ont construit un caisson de 16 centimètres carrés séparé au milieu par une cloison. De chaque côté du caisson se trouvaient de fausses fleurs qui se remplissaient alternativement d’une solution sucrée. Lorsque les oiseaux se trouvaient d’un côté, la fleur de l’autre côté se remplissait de solution (et vice-versa) afin de les inciter à faire le va-et-vient entre les deux côtés.
Les cloisons étaient régulièrement échangées et comportaient soit des ouvertures circulaires, soit ovales pour passer d’un côté à l’autre. Leurs diamètres variaient de l’envergure des oiseaux (environ 12 centimètres) à la moitié de cette longueur (6 centimètres). Chaque type de cloison (7 au total) était présenté 10 fois à chaque colibri, ce qui a donné lieu à 140 essais filmés à grande vitesse pour chacun. En parallèle, un programme informatique a été utilisé pour suivre la position du bec et du bout des ailes de chaque oiseau, à mesure qu’il s’approchait et passait à travers l’ouverture.
Les chercheurs ont constaté que les oiseaux utilisaient deux techniques distinctes pour traverser les cloisons. La première consistait à s’approcher d’abord de l’ouverture et de se placer devant en vol stationnaire pendant quelques secondes, probablement afin d’en évaluer l’écart. Ensuite, les oiseaux franchissaient latéralement l’ouverture en tendant une aile vers l’avant et une autre vers l’arrière — formant plus ou moins une croix avec leur corps, tout en continuant à battre des ailes. Passé cette étape, ils pivotaient vers l’avant et continuaient de voler pour atteindre la fleur. La deuxième stratégie consistait à replier les ailes vers l’arrière afin de les garder le long du corps et de traverser la cloison ainsi, bec en premier, telle une balle de fusil projetée à grande vitesse. Les oiseaux suspendaient ainsi momentanément leurs vols et reprenaient les battements d’ailes une fois l’obstacle franchi en toute sécurité.
En analysant les deux stratégies, Badger et ses collègues ont remarqué que les oiseaux qui optaient pour la première stratégie (le vol latéral) avaient tendance à voler plus prudemment et plus lentement que ceux qui utilisaient la deuxième (la traversée en balle de fusil). Cependant, à mesure qu’ils se familiarisaient avec les ouvertures, ils semblaient devenir plus confiants et commençaient à adopter la seconde stratégie. Toutefois, cette dernière a presque toujours été utilisée pour les plus petites ouvertures, notamment surtout pour celle de 6 centimètres.
Ces résultats démontrent que les colibris ont développé des stratégies de vol spécifiquement adaptées aux petits espaces et peuvent franchir des ouvertures nettement plus réduites que leur envergure. En outre, une approche de prudence et une de confiance ont été distinctement identifiées. Toutefois, environ 8% des oiseaux se sont cogné les ailes en passant à travers les cloisons et l’un d’entre eux a eu une collision majeure. Néanmoins, ils se sont tous rapidement relevés pour réessayer, et réussir ainsi avec succès la manœuvre adaptée.