La théorie de la relativité générale, établie par Albert Einstein au début du XXe siècle, décrit l’influence de la présence de matière sur le mouvement des astres ; elle repose sur le fait que la gravitation n’est pas une force, mais la manifestation de la courbure de l’espace-temps produite en réponse à la matière. La mécanique quantique, quant à elle, décrit les trois autres forces connues dans l’Univers : l’électromagnétisme, la force nucléaire faible et la force nucléaire forte ; ces forces ont la particularité de pouvoir être quantifiées en unités discrètes (les particules). Dès lors, des scientifiques s’interrogent : est-il possible qu’aux plus petites échelles, l’espace-temps soit lui aussi constitué de plusieurs unités ?
La gravité quantique est une branche de la physique théorique qui tente de décrire l’interaction gravitationnelle à toute échelle d’énergie, réunifiant ainsi la mécanique quantique (qui décrit le comportement et les interactions des particules) et la relativité générale d’Einstein (qui décrit la gravité du monde macroscopique comme étant une courbure de l’espace-temps). Le fond du problème repose sur le fait de savoir si la gravité et l’espace-temps qu’elle habite peuvent être « quantifiés », autrement dit, décomposés en unités individuelles, une caractéristique propre au monde quantique.
Certains scientifiques, tels que Rana Adhikari, professeur de physique à Caltech, pensent effectivement que l’espace pourrait être composé d’unités discrètes incroyablement petites. « Un pixel d’espace-temps est si petit que si l’on agrandissait les choses pour qu’il ait la taille d’un grain de sable, les atomes seraient aussi grands que les galaxies », explique-t-il à Caltech Magazine. Les connexions entre ces pixels pourraient être révélées par des signaux typiques que les physiciens tentent aujourd’hui d’observer dans de nouvelles expériences inédites.
Observer la gravité quantique à des échelles extrêmes
Les scientifiques pensent qu’aux plus petites échelles, la force de gravité ne devrait pas être continue, mais plutôt « bosselée », de par la présence de particules hypothétiques appelées gravitons. Mais du fait des échelles extrêmement petites du monde microscopique, certains scientifiques pensent qu’il est impossible de trouver des preuves de la gravité quantique. Kathryn Zurek, professeure de physique théorique, veut relever le défi : à travers le projet Quantum gRavity and Its Observational Signatures (QuRIOS), elle a réuni une équipe de spécialistes pour déterminer de quelle façon la gravité quantique pourrait être observée. Établir la preuve des effets gravitationnels quantiques pourrait véritablement aider les physiciens à développer la théorie.
En collaboration avec Rana Adhikari, la physicienne a mis au point une nouvelle expérience, appelée Gravity from Quantum Entanglement of Space-Time (GQuEST), destinée à détecter les connexions entre les pixels de l’espace-temps. Concrètement, il s’agira d’identifier des signaux spécifiques liés aux fluctuations de l’espace-temps (parmi le fond diffus cosmologique et d’autres signaux) et de vérifier s’ils correspondent ou non aux modèles de gravité quantique préétablis. « Nous pensons qu’il existe des fluctuations de l’espace-temps qui peuvent perturber les faisceaux lumineux », précise Zurek.
La théorie des cordes est la théorie de la gravité quantique la plus complète et la plus probable à ce jour. Elle décrit un univers à dix dimensions, dont six sont invisibles et les quatre autres constituent l’espace et le temps. Selon cette théorie, toute la matière de l’Univers serait constituée de minuscules cordes ; elle décrit comment ces cordes se propagent dans l’espace et interagissent les unes avec les autres. Sur des échelles de distance supérieures à l’échelle de la corde, cette dernière affiche certaines propriétés (masse, charge et autres) qui sont déterminées par l’état vibratoire de la corde. L’un de ces états vibratoires correspond au graviton. Reste à tester expérimentalement la théorie…
Une expérience qui pourrait remettre en cause la « réalité » de l’espace-temps
La tâche est particulièrement ardue : pour observer ce qui se passe à très petite échelle, là où l’espace-temps devient — en théorie — granuleux, les expériences devraient sonder des distances de l’ordre de 10-35 mètres — ce que les physiciens nomment la longueur de Planck, qui représente l’échelle de longueur à laquelle une description classique de la gravitation cesse d’être valide, et où la mécanique quantique doit être prise en compte. Il est toutefois possible d’étudier les aspects de la gravité quantique à des échelles plus accessibles, selon Zurek. Les expériences proposées par les deux physiciens et leurs collègues impliquent des échelles de l’ordre de 10-18 mètres — une dimension toujours extrême, mais qu’il est potentiellement possible d’atteindre à l’aide d’instruments de laboratoire très précis.
Ces expériences seraient similaires à des mini LIGO, les interféromètres qui détectent les ondes gravitationnelles, expliquent les scientifiques. Tout comme les ondes gravitationnelles sont observables par l’effet qu’elles produisent sur les faisceaux lasers de l’instrument, l’expérience de gravité quantique consisterait à repérer un certain type de fluctuation de l’espace-temps, et en particulier, ce qu’ils nomment « les corrélations à longue portée » entre les gravitons. « Nous voulons concevoir un appareil où les fluctuations spatio-temporelles font sortir un photon du faisceau de l’interféromètre, puis nous utiliserions des détecteurs à photons uniques pour lire cette perturbation spatio-temporelle », explique Zurek.
Le modèle proposé par la physicienne repose sur le principe holographique, selon lequel toutes les informations contenues dans un volume sont codées sur la surface : la gravité et l’espace-temps émergeraient ainsi de l’intrication des particules qui se produit sur la surface bidimensionnelle ; cette intrication se produit lorsque des particules subatomiques sont connectées à travers l’espace. L’expérience proposée par Zurek et Adhikari consiste à sonder cette surface bidimensionnelle — qu’ils appellent « l’horizon quantique » — pour détecter les fluctuations du graviton. Le flou mesuré à la surface traduirait la pixellisation de l’espace-temps.
Si cette expérience réussit, elle contribuera à redéfinir complètement les concepts de gravité et d’espace admis jusqu’à présent. « Si je lâche ma tasse à café et qu’elle tombe, j’aime à penser que c’est la gravité. Mais, de la même manière que la température n’est pas « réelle » mais décrit la façon dont un groupe de molécules vibre, l’espace-temps pourrait ne pas être une chose réelle », conclut Adhikari.