Au cours des dernières années, le concept d’information a pris une place prépondérante en physique. Les chercheurs la traitent désormais comme une donnée fondamentale inhérente à l’Univers et l’incorporent dans des théories de l’information de plus en plus complexes. Pour le physicien théoricien Melvin Vopson, l’information pourrait même être un véritable état de la matière possédant une masse mesurable et agissant sur son environnement.
Toute la matière qui nous entoure existe sous forme solide, liquide, gazeuse ou plasma. Mais alors que nos vies deviennent de plus en plus numérisées, de plus en plus de matière physique, comme le pétrole, le silicium et le carbone, est nécessaire pour soutenir notre besoin croissant de puissance de calcul et de traitement de l’information.
La moitié de la masse de la Terre convertie en bits d’ici 2245
Compte tenu des tendances actuelles d’une croissance annuelle de 50% du nombre de bits numériques produits, Melvin Vopson, physicien à l’Université de Portsmouth au Royaume-Uni, a prédit que le nombre de bits égalerait le nombre d’atomes sur Terre dans environ 150 ans. D’ici 2245, la moitié de la masse de la Terre serait convertie en masse d’informations numériques, selon une étude publiée dans la revue AIP Advances.
Ce n’est qu’une question de temps avant que les bits numériques soient plus nombreux que tous les atomes sur Terre, un avenir dans lequel le monde est converti en un superordinateur de la taille d’une planète ; et tout cela mène à une théorie séduisante : cette information n’est pas différente de la matière ordinaire. En fait, dit Vopson, l’information doit être considérée comme le cinquième état de la matière (ou le sixième si l’on compte les condensats de Bose-Einstein).
Dans la nouvelle étude, Vopson établit des parallèles entre la théorie de la relativité générale d’Einstein, qui déclare entre autres que la masse et l’énergie sont équivalentes, l’application par Rolf Launder des lois de la thermodynamique à la théorie de l’information, qui assimile l’information à l’énergie, et, enfin, la théorie de l’information de Claude Shannon qui a conduit à l’invention du premier bit numérique.
L’information : un état fondamental de l’Univers
Selon Vopson, les physiciens ont toujours élargi leur conscience de ce qui compose l’Univers. Au fur et à mesure que les scientifiques affinaient leurs instruments de détection et leurs théories, ils ont appris que l’univers n’est pas seulement fait de matière baryonique, mais aussi de rayonnement, de matière noire et d’énergie. L’information, bien qu’apparemment plus abstraite, pourrait naturellement les rejoindre, car elle fait partie intégrante « à la fois de la matière non organique et de la vie ».
« Bien que l’information se manifeste sous de nombreux formats, y compris les informations analogiques, les informations codées par l’ADN biologique et les informations numériques, la forme la plus fondamentale est le bit numérique binaire, car il peut représenter ou dupliquer avec succès toutes les formes d’informations existantes. Ceci est également valable pour le traitement quantique des q-bits, car la sortie finale d’un ordinateur quantique est toujours au format numérique binaire ».
« Comme il y a un nombre incroyablement grand de particules élémentaires composant l’Univers, alors l’univers visible contiendrait également une énorme quantité de bits numériques associés au contenu informationnel de ces particules. Le principe de Landauer a démontré que l’information est physique. Le principe d’équivalence masse-énergie-information a extrapolé cela et a démontré que l’information a en fait une masse. Puisqu’il y a beaucoup d’informations associées à la masse baryonique dans l’Univers, alors ce doit être une énorme quantité de masse qui correspond à cette information ».
Mais comment quelque chose d’aussi intangible que l’information pourrait-il avoir une masse ? Le nouvel article soutient qu’une telle chose est en effet possible et pourrait se manifester par des interactions gravitationnelles. En fait, la matière noire pourrait n’être que de l’information. Si le principe d’équivalence masse-énergie-information est correct et que l’information a effectivement une masse, un univers informationnel numérique en contiendrait beaucoup, et peut-être que la matière noire manquante pourrait n’être que de l’information, explique Vopson.
Une transition vers un monde totalement numérique
Les implications du principe d’équivalence masse-énergie-information sont importantes compte tenu de la vitesse à laquelle l’humanité a généré des informations numériques. Selon IBM Research, 90% de toutes les données générées par l’Homme à ce jour ont été créées au cours des dix dernières années seulement.
En fait, l’auteur de la nouvelle étude a utilisé des taux de croissance prudents pour la génération et le stockage d’informations. En réalité, le taux de génération d’informations est plus élevé et pourrait même s’accélérer à l’avenir, comme l’a démontré la pandémie actuelle de COVID-19. Tant que la civilisation ne s’effondrera pas à cause du changement climatique ou de la guerre thermonucléaire, le domaine numérique en constante expansion semble orienter le monde vers un avenir où notre existence est intrinsèquement liée aux ordinateurs.
Afin d’accueillir plus de bits qu’il n’y a d’atomes sur Terre, la façon dont les humains génèrent et stockent les informations doit changer fondamentalement. Il est impossible de dire exactement comment cela pourrait se produire à ce stade ; c’est un problème que les scientifiques vivants dans 100 à 200 ans devront comprendre. Certaines idées peuvent inclure l’utilisation de supports de stockage non tangibles tels que les photons, le vide et les hologrammes.