Après plusieurs jours d’investigation, l’équipe nommée par l’Organisation mondiale de la santé (OMS) chargée d’enquêter sur l’apparition du SARS-CoV-2 en Chine, apporte de nouveaux éléments qui pourraient complètement réécrire l’histoire de cette pandémie sans précédent. Ils ont effet découvert que des dizaines de personnes avaient été hospitalisées pour des symptômes typiques de la COVID-19 plusieurs semaines avant que le marché de Wuhan ne soit signalé comme foyer épidémique.
Peter Ben Embarek, spécialiste de la sécurité alimentaire et des zoonoses et chef d’équipe de l’OMS, précise cependant que des recherches plus approfondies devront être menées avant de confirmer officiellement les faits et de retracer, le cas échéant, le cheminement du coronavirus. Les premiers éléments de l’enquête suggèrent néanmoins que le virus circulait déjà depuis un moment en Chine avant de faire la une des journaux.
Les autorités chinoises ont déclaré aux enquêteurs qu’elles avaient récemment testé les anticorps du coronavirus sur deux tiers des 90 patients concernés, mais qu’elles n’avaient trouvé aucun signe d’infection. Cependant, du fait que ces personnes potentiellement hospitalisées pour COVID-19 ont été infectées il y a maintenant plus d’un an, les experts de l’OMS pensent que les taux d’anticorps pourraient avoir chuté à des niveaux indétectables. Les tests négatifs ne permettent donc pas d’écarter l’hypothèse.
Plusieurs preuves de cas dès l’automne
Après avoir annoncé que la piste d’une transmission par l’animal est l’hypothèse la plus probable — écartant au passage une éventuelle fuite de laboratoire —, les enquêteurs de l’OMS communiquent aujourd’hui des éléments qui pourraient remettre beaucoup de choses en question, notamment la façon dont la Chine a géré l’émergence de ce nouveau virus. L’équipe a passé en revue les dossiers médicaux de plus de 230 cliniques de la province de Hubei, dont Wuhan est la capitale : près de 90 patients ont été hospitalisés pour des pneumonies ou des symptômes caractéristiques d’une infection au SARS-CoV-2, en octobre et novembre 2019, soit deux mois avant que la maladie ne soit officiellement identifiée et signalée par Pékin.
Cette découverte vient renforcer l’hypothèse selon laquelle le virus aurait commencé à circuler bien avant le mois de décembre 2019. Une enquête du South China Morning Post avait déjà révélé en mars 2020 que le premier cas confirmé de COVID-19 en Chine remontait en réalité au 17 novembre ; des experts médicaux chinois auraient identifié une soixantaine de cas de coronavirus entre novembre et décembre en réanalysant des échantillons prélevés sur les patients examinés pendant cette période. Par ailleurs, une analyse menée par des chercheurs de l’Université de Boston, basée sur les images satellites du trafic routier menant vers six hôpitaux de Wuhan et les recherches effectuées sur le moteur Baidu sur des termes liés à la maladie, a même suggéré que le virus avait peut-être commencé à y circuler dès la fin de l’été !
Si le virus a émergé plus tôt que ce qui a été admis jusqu’à présent, cela pourrait également expliquer plusieurs rapports de cas de COVID-19, signalés en Europe dès la fin de 2019. Une étude de l’Institut national du cancer de Milan a notamment révélé que le coronavirus circulait en Italie dès septembre 2019 — alors que le premier cas italien de contamination a été officiellement signalé le 21 février 2020. En mai, le Dr Yves Cohen, responsable de la réanimation des hôpitaux Avicenne et Jean Verdier à Paris, a déclaré qu’un patient traité pour une pneumonie était en réalité positif à la COVID-19 le 27 décembre 2019 ; la France n’a cependant enregistré son premier cas officiel que le 24 janvier. De même, le virus aurait été détecté sur la côte ouest des États-Unis dès le mois de décembre. En résumé, la date officielle du début de la pandémie reste très incertaine.
Le marché de Wuhan mis hors de cause
Les enquêteurs de l’OMS affirment avoir demandé aux autorités chinoises de refaire des tests antigéniques à plus grande échelle, en utilisant des prélèvements de sang collectés à l’automne 2019 dans la province de Hubei. Cependant, les autorités ont déclaré qu’elles n’avaient pas encore obtenu les autorisations nécessaires pour tester ces échantillons, dont beaucoup sont conservés dans des banques de sang.
Marion Koopmans, virologue de l’équipe de l’OMS chargée de l’enquête, souligne par ailleurs qu’il ne faut pas tirer de conclusion hâtive. Les résultats négatifs des tests antigéniques effectués au préalable ne constituent pas une preuve formelle d’absence d’infection, car on sait que les niveaux d’anticorps diminuent avec le temps, en particulier après des cas bénins. Mais la spécialiste rappelle que les patients concernés par ces tests étaient hospitalisés, ce qui suggère des symptômes plus sévères. « Les niveaux d’anticorps diminuent, mais moins en cas d’infection sévère. D’après ce que nous savons sur la sérologie, sur 92 cas, vous auriez au moins quelques résultats positifs », explique-t-elle.
En attendant, ces nouvelles révélations soulèvent évidemment bon nombre de questions. S’il s’avère que le virus circulait déjà depuis quelques semaines, une détection plus précoce aurait-elle permis de contenir l’épidémie et d’éviter que le virus ne se répande au niveau mondial ? Pour le moment, la Chine réfute cette hypothèse, ce qui n’est guère surprenant compte tenu du fait que Pékin a toujours pris d’infinies précautions pour ne pas être tenue responsable de la pandémie. En avril 2020, le gouvernement a notamment imposé une nouvelle politique de contrôle et de censure des articles universitaires traitant des origines du SARS-CoV-2 : tous les travaux sont soumis à relecture par un groupe de travail nommé par les autorités, avant d’être proposés aux revues scientifiques pour publication. Pékin continue d’affirmer que le premier patient identifié en Chine a développé des symptômes le 8 décembre 2019.
Selon l’équipe de l’OMS, une chose est sûre : le marché de gros de Wuhan n’est pas le point de départ de la pandémie. Parmi les 41 cas de coronavirus identifiés pour la première fois dans la ville, seuls deux tiers avaient un lien direct avec ce lieu. « Les preuves suggèrent que le virus circulait ailleurs à Wuhan avant que l’épidémie du marché ne se produise », a déclaré mardi Liang Wannian, membre de la Commission nationale chinoise de la santé qui a aidé les enquêteurs de l’OMS, lors d’une conférence de presse. Un examen plus approfondi des échantillons de sang prélevés en 2019 pourrait être le meilleur moyen de savoir quand cette pandémie a réellement commencé.