Après deux autres cas recensés de rémission à l’infection au VIH/SIDA, une troisième personne séropositive serait en rémission totale. Ce patient, surnommé « patient de Düsseldorf », aurait reçu une transplantation de moelle osseuse dans le but de traiter une leucémie. Environ quatre ans après la transplantation, il ne présentait plus aucun signe d’infection au VIH et a pu arrêter son traitement antirétroviral. Il a notamment eu la chance incroyable de trouver un donneur de cellules souches compatible et portant un gène mutant conférant une résistance contre le VIH (dont la proportion mondiale est de moins de 1%).
Le patient de Düsseldorf (en Allemagne) a été diagnostiqué séropositif en 2008. Le VIH étant un rétrovirus, les traitements recommandés sont généralement composés d’antirétroviraux. À rappeler que les rétrovirus ont la capacité de synthétiser une enzyme appelée transcriptase inverse, permettant la synthèse d’ADN à partir de l’ARN viral, lorsque ce dernier pénètre la cellule hôte. Cet ADN complémentaire du génome viral s’intègre par la suite à celui de la cellule infectée. Les antirétroviraux agissent au niveau de l’étape de réplication d’ADN du VIH, de sorte à maintenir une charge virale indétectable et une fonction immunitaire minimale. Cette dernière permet aux patients séropositifs de se protéger d’autres infections, et de maintenir une certaine qualité de vie.
Après un an de traitement antirétroviral, l’on a diagnostiqué une leucémie chez le patient de Düsseldorf. Une série de chimiothérapies lui a alors permis une rémission temporaire, face à son cancer. Après une rechute en 2013, les médecins lui ont suggéré une transplantation de cellules souches de moelle osseuse. Pour ce faire, un donneur possédant des caractéristiques immunogénétiques compatibles avec celles du patient a été recherché, afin d’anticiper les rejets de greffe. Dans un deuxième temps, les médecins ont tenté de trouver une personne portant la mutation génétique CCR5 delta-32. Cette dernière confère une résistance au VIH, qui est censé se lier spécifiquement au récepteur CCR5 afin de pouvoir infecter son hôte.
D’après les chercheurs de la nouvelle étude, parue dans la revue Nature Medicine, il est extrêmement rare de trouver un donneur qui soit à la fois compatible pour le don de moelle osseuse et à la fois porteur de la mutation CCR5 delta-32. « Il s’agit d’une situation exceptionnelle quand tous ces facteurs coïncident pour que cette greffe soit un double succès de guérison, de la leucémie et du VIH », explique Asier Sáez-Cirión, responsable de l’unité Réservoirs viraux et contrôle immunitaire à l’Institut Pasteur, et co-auteur principal de la nouvelle étude.
Près de 5 ans après la transplantation, et à la suite de diverses complications, l’état de santé du patient s’est stabilisé. Quand les chercheurs n’ont plus détecté la présence du virus dans son organisme, il a été estimé qu’il n’aurait peut-être plus besoin de son traitement antirétroviral. 44 mois après l’arrêt du traitement, aucune trace de particules virales et de réservoirs viraux n’a été détectée. Étant donné que le VIH cible les cellules immunitaires, ces dernières ont été intégralement remplacées par celles du donneur, chez le patient de Düsseldorf. Ce remplacement aurait permis de vider les réservoirs viraux, ainsi qu’un transfert de la résistance au VIH.
Bien que les chercheurs de la nouvelle étude n’aient pas encore pu analyser l’intégralité des tissus du patient, les données recueillies jusqu’ici indiqueraient qu’il serait probablement remis de l’infection. « Les résultats indiquent que le système immunitaire n’a pas détecté le virus après l’interruption du traitement antirétroviral », estime Asier Sáez-Cirión. Âgé aujourd’hui de 53 ans, le patient de Düsseldorf serait en pleine forme et ne présenterait aucun symptôme indiquant l’infection.
Une lueur d’espoir pour guérir la maladie ?
La nouvelle étude a été menée par des chercheurs membres du consortium IciStem. Il s’agit d’un groupe de recherche international se consacrant exclusivement aux patients chez qui l’on a enregistré une rémission au SIDA, par le biais de dons de cellules souches ciblant au départ d’autres pathologies. « Nous voulons comprendre en détail chaque étape du processus de guérison afin de concevoir des stratégies reproductibles pour l’ensemble des patients », explique Javier Martinez-Picado, chercheur ICREA à IrsiCaixa, co-directeur d’IciStem, et co-auteur principal de la nouvelle étude.
Il important de noter que pour le cas du VIH/SIDA, les chercheurs ont parfois tendance à préférer le terme « rémission » au lieu de « guérison ». Malgré plus de 40 ans de recherches sur la maladie, les processus physiopathologiques la régissant sont encore en effet largement incompris. De ce fait, pour les cas exceptionnels tels que celui du patient de Düsseldorf, la situation serait encore probablement susceptible de changer, et le risque de rechute ne serait pas à écarter. Le terme de « guérison probable » serait peut-être le mieux adapté.
De plus, certaines personnes séropositives seraient capables de maintenir une charge virale indétectable sur de longues périodes, et ce en l’absence de traitement antirétroviral. Les chercheurs de l’IciStem associent cette rémission à des contrôleurs naturels permettant des réponses immunitaires plus efficaces contre le VIH. Le cas des personnes ayant bénéficié d’une transplantation de moelle osseuse irait au-delà de cette situation de contrôle. À part le patient de Düsseldorf, deux autres patients ont été probablement guéris du SIDA, à Berlin et à Londres, après une transplantation de moelle osseuse.
Toutefois, bien que ces guérisons probables offrent une lueur d’espoir pour les patients séropositifs, la stratégie thérapeutique décrite dans la nouvelle étude reste très agressive. Même dans le cas de la leucémie, le traitement à base de cellules souches n’est opté qu’en dernier recours. De ce fait, elle n’est pas adaptable à toutes les personnes souffrant du SIDA.