Le théorème « de l’absence de cheveux » (dit aussi « de calvitie ») de la relativité générale, proposé dans les années 1960, stipule qu’un trou noir n’est décrit que par trois paramètres : sa masse, sa charge électrique et son moment cinétique (lié à sa vitesse de rotation). Certains chercheurs ont toutefois suggéré qu’un trou noir classique entouré d’un plasma peut retenir des « cheveux » sous la forme d’un champ magnétique. Mais des physiciens de l’Université de Columbia démontrent que même dans ce cas, le théorème est satisfait.
« Les trous noirs n’ont pas de cheveux ». C’est au physicien théoricien John Wheeler que l’on doit ce curieux aphorisme, qui apparaît pour la première fois dans un article publié en 1971 dans Physics Today. L’une des conséquences de ce théorème est qu’il n’existerait que quatre types de trous noirs astrophysiques, selon que leur charge électrique et/ou leur moment cinétique soit nul ou non : les trous noirs de Schwarzschild, de Kerr, de Reissner-Nordström et de Kerr-Newman.
Lorsqu’un trou noir se forme à partir d’une étoile magnétisée, il est doté d’un champ magnétique. La durée pendant laquelle ce champ persiste est toujours sujette à débat ; certains travaux antérieurs ont suggéré que le plasma entourant les trous noirs pourrait maintenir le champ magnétique plus longtemps que prévu, ce qui constituerait une violation du théorème de calvitie. Une équipe de chercheurs, dirigée par Ashley James Bransgrove, ont effectué un ensemble de simulations informatiques pour vérifier cette théorie.
Un champ qui disparaît par reconnexion magnétique
Un trou noir peut naître avec un champ magnétique, tout comme il peut en acquérir un en absorbant du matériau magnétisé. Le théorème de calvitie stipule que dans de tels cas, le champ magnétique au niveau de l’horizon des événements d’un trou noir isolé devrait être rapidement éliminé par rayonnement, ramenant le trou noir à un état « chauve ». Mais les trous noirs astrophysiques n’existent pas de manière isolée : ils sont au contraire entourés de plasma qui empêche le champ magnétique de glisser hors de l’horizon des événements.
Qu’est-ce que cela implique pour le théorème de calvitie ? Pour lever le voile sur ce mystère, Bransgrove et ses collègues ont réalisé diverses expériences visant à simuler un champ magnétique autour d’un trou noir de Kerr (M>0, J≠0, Q=0), en présence de plasmas avec et sans collisions. « Dans le domaine magnétique, il s’agit du test le plus réaliste du théorème de calvitie à ce jour », souligne Kyle Parfrey, du Trinity College de Dublin, qui n’a pas participé à l’étude.
Bransgrove et ses collègues ont alors constaté que les lignes du champ magnétique convergeaient à l’équateur du trou noir et se transformaient en boucles fermées dans un processus appelé « reconnexion magnétique ». Ces boucles magnétiques remplies de plasma dissipaient le champ magnétique qui avait auparavant pénétré le trou noir, libérant de l’espace au niveau de l’équateur pour que davantage de lignes de champ y convergent. « Les lignes de champ continuent d’affluer et de faire ces boucles, et cela continue jusqu’à ce qu’elles disparaissent toutes », explique Bransgrove.
Les boucles magnétiques finissent par s’échapper dans l’espace ou tombent dans le trou noir. Le processus est relativement rapide. Le théorème de calvitie est satisfait, dans le sens où toutes les composantes du tenseur énergie-impulsion décroissent exponentiellement dans le temps. Plus la vitesse de reconnexion est élevée, plus le champ magnétique se désintègre rapidement et plus vite le théorème est satisfait.
L’origine probable des éruptions de rayons X
Comme le souligne Bransgrove, le théorème de calvitie a été établi pour un trou noir dans le vide ; mais il apparaît, grâce à ces simulations, que le théorème s’applique également aux trous noirs entourés de plasma — une caractéristique commune à de nombreux trous noirs dans la réalité.
Pour Vitor Cardoso, spécialiste de la physique des trous noirs de l’Université de Lisbonne, ces résultats permettront de mieux comprendre le comportement magnétique des trous noirs et ainsi, de s’appuyer sur ces propriétés pour les localiser. « Comprendre ce processus d’élimination des champs magnétiques pourrait aider les chercheurs à trouver et à identifier les trous noirs nouvellement formés », précise-t-il.
En effet, dans les champs magnétiques puissants, la reconnexion produit des rayons X de haute énergie. Cela signifie qu’en plus de préserver l’absence de cheveux dans les trous noirs, ce processus pourrait expliquer les puissantes éruptions de rayons X et les points chauds observés à proximité des trous noirs supermassifs. « Nous ne pouvons pas encore dire avec certitude si nous voyons cela dans les observations, mais il y a des indices », ajoute Bransgrove. Les astronomes n’ont pas encore repéré les boucles magnétiques pleines de plasma suggérées par les simulations informatiques, mais les rayons X issus du plasma chaud entourant les trous noirs pourraient confirmer que le processus est bel et bien en cours.