Les calottes glaciaires, ces régions vitales pour l’équilibre climatique de la Terre, ont été témoins de grands bouleversements climatiques, par lesquels notre planète est passée au cours de sa vie. De nombreuses expéditions scientifiques explorent alors ces calottes pour comprendre comment et en combien de temps la Terre changera face au réchauffement alarmant qu’elle subit depuis quelques décennies. Au cours d’une de ces expéditions, un groupe international de recherche a récemment découvert un gigantesque lac sous-glaciaire de 42 km de long, enfermé dans la plus grande calotte glaciaire au monde : l’inlandsis Antarctique oriental. Baptisé Snow Eagle, ce lac pourrait probablement renfermer les secrets des élévations et des chutes climatiques de la calotte glaciaire de l’Antarctique.
Sur Terre, les calottes glaciaires et les inlandsis (différents au niveau de la taille, les inlandis étant les plus grands) jouent un rôle fondamental dans le maintien de l’équilibre climatique, nécessaire à toute forme de vie. Elles jouent par exemple un rôle dans l’albédo de la Terre (le flux de lumière solaire réfléchie par la surface de la Terre), grâce aux immenses surfaces blanches formées par la glace (le blanc réfléchit davantage la lumière que toute autre longueur d’onde). Cette énergie réfléchie conditionne de manière très importante le climat global de la planète, comme lors de la période glaciaire de Würm (il y a 20 000 ans), où la température moyenne de la Terre est descendue de 5,5 °C, son albédo augmentant jusqu’à 0,38.
Les deux et uniques inlandsis (Antarctique et Groeland) plus particulièrement, jouent des rôles encore plus importants, notamment par leur interaction avec les océans — au niveau de la circulation thermohaline par exemple (circulation océanique générée par les différences de densité des eaux des mers du globe).
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Et malgré leur immensité, ces inlandsis sont très sensibles aux changements de température et ont déjà connu dans le passé de grands bouleversements. D’après une nouvelle étude parue dans la revue Geo Science World, au cours des cycles glaciaires quaternaires (2,6 millions d’années) et les épisodes de réchauffements du Pliocène (3,4 à 3,6 millions d’années), ils ont notamment subi respectivement des périodes majeures d’élévation et d’affaissement.
De plus, une étude antérieure a estimé que le dernier effondrement de l’inlandsis Est-Antarctique remonterait à plus récemment encore, il y a seulement 400 000 ans. Cette fonte majeure qui avait élevé de trois mètres les niveaux des mers, se serait produite à cause d’un réchauffement planétaire prolongé, bien que plutôt modéré comparé à celui que nous subissons aujourd’hui.
La découverte, réalisée au cours de l’expédition scientifique ICECAP-2, permettra peut-être de connaître plus précisément ce qu’était l’Antarctique avant qu’il ne gèle, comment le changement climatique l’a affecté au cours de son histoire et comment la calotte glaciaire pourrait se comporter à mesure que le monde se réchauffe. L’étude s’étale sur plusieurs années et a été menée par l’Institut de géophysique de l’Université du Texas à Austin, l’Institut d’océanographie de Scripps, l’Imperial College de Londres, le Département australien de l’Antarctique et l’Institut de recherche polaire de Chine.
Des sédiments : vestiges du passé climatique de l’Antarctique
Découvert grâce à un radar aéronautique ultraperformant, le lac Snow Eagle s’étend sur une superficie de 370 km², ce qui en fait l’un des plus grands lacs sous-glaciaires de l’Antarctique. Il est emprisonné sous une couche de glace épaisse de 3,21 km et se trouve dans un vertigineux canyon de 1,6 km de profondeur, à 170 km de la côte, sur les hautes terres antarctiques d’une zone appelée « terres de la Princesse Élizabeth ».
Avant de découvrir le lac, les scientifiques avaient en effet repéré une sorte de dépression lisse sur les images satellites de la calotte glaciaire. Pour confirmer sa présence, le groupe de recherche a effectué pendant trois ans des relevés systématiques avec un radar pénétrant dans la glace et des capteurs qui mesurent les changements infimes de la gravité et du champ magnétique de la Terre. Contrairement à la glace, l’eau du lac a alors réfléchi la lumière comme un gigantesque miroir sur le radar.
Comme il est relativement proche des côtes, les auteurs de l’étude pensent que le lac renfermerait de précieuses informations sur la façon dont l’inlandsis Est-Antarctique s’est formé, ce qui permettrait de mieux comprendre le rôle du courant circumpolaire antarctique (l’anneau d’eau froide entourant le continent, qui pourrait jouer un rôle dans sa conservation).
De plus, le fond du lac est tapissé d’une épaisse couche sédimentaire d’environ 305 mètres, qui pourrait contenir des sédiments fluviaux plus anciens encore que la calotte glaciaire elle-même. « Ce lac est susceptible d’abriter un enregistrement de toute l’histoire de l’inlandsis de l’Antarctique oriental, de son initiation il y a plus de 34 millions d’années, ainsi que de sa croissance et de son évolution à travers les cycles glaciaires depuis lors », explique dans un communiqué Don Blankenship, l’un des auteurs de l’étude et chercheur principal à l’Institut de géophysique de l’Université du Texas.
Par ailleurs, d’après les chercheurs, trouver une couche sédimentaire aussi épaisse dans un tel environnement est assez inattendu. La découverte permettra ainsi d’archiver de précieux enregistrements des changements paléoenvironnementaux, ainsi que l’histoire de l’évolution de la calotte glaciaire de l’Antarctique oriental, et ce même depuis le moment où elle n’a jamais été gelée. Plus intrigant encore, la calotte glaciaire aurait subi un changement significatif il y a environ 10 000 ans, dont la cause est encore un mystère.
Les premiers échantillons de forage de ces sédiments combleraient considérablement les lacunes dans la compréhension de la glaciation de l’Antarctique, et fourniraient des informations vitales sur la possible disparition de la calotte glaciaire à cause du changement climatique.