Le système en question pourrait devenir l’outil indispensable de tous les enquêteurs, pour retrouver l’auteur d’un crime sans aucun autre indice qu’un peu de son matériel génétique. La société Corsight AI, filiale de la société israélienne d’intelligence artificielle Cortica, affirme en effet que sa solution peut générer un modèle de visage à partir de l’ADN d’une personne, pouvant ensuite être exploité par un système de reconnaissance faciale pour identification.
Corsight, spécialisée dans la reconnaissance faciale, a dévoilé sa solution baptisée « DNA to Face » lors d’une conférence pour investisseurs, le 15 décembre dernier. L’outil « construit un profil physique en analysant le matériel génétique recueilli dans un échantillon d’ADN », selon la présentation de la société consultée par IPVM, un groupe de recherche sur l’industrie de la surveillance, et partagée avec MIT Technology Review. La société travaille également sur un nouvel outil de reconnaissance de la voix et des mouvements.
Peu d’informations sont disponibles concernant cette solution qui paraît sortie tout droit d’un film de science-fiction. « Nous ne nous engageons pas avec la presse pour le moment car les détails de ce que nous faisons sont confidentiels », a déclaré Robert Watts, CEO de Corsight, aux journalistes du MIT. Les documents présentés laissent néanmoins entendre que ce système sera sans doute à destination des forces de l’ordre et des autorités gouvernementales. Une hypothèse soutenue par le fait que le conseil consultatif se compose d’un ancien directeur de la CIA et d’un ancien directeur adjoint du FBI.
Un concept déjà testé par quelques acteurs de l’IA
Retrouver le visage d’un criminel à partir d’un peu de son ADN, le concept paraît vraiment incroyable. Plusieurs scientifiques restent d’ailleurs sceptiques face à cette nouvelle technologie. L’idée n’est cependant pas nouvelle : en 2017, la société Human Longevity, a publié un article dans lequel elle démontre comment elle a réussi à prédire des traits physiques (morphologie du visage, voix, couleur des yeux, couleur de la peau, taille, poids) à partir du génome de plus de 1000 individus. Grâce à l’algorithme qu’ils ont développé, les chercheurs auraient réussi à ré-identifier en moyenne plus de 8 individus sur 10 dans une cohorte ethniquement mixte.
« Ces travaux remettent en question les conceptions actuelles de la vie privée et pourraient avoir des implications éthiques et juridiques de grande portée », concluaient les auteurs de cette étude. Et pour cause, si l’on peut réellement identifier une personne à partir de son ADN, cela signifie que tous les génomes collectés à des fins de recherche sont loin d’être anonymisés… Les travaux de Human Longevity avaient toutefois rapidement été mis en doute, les plus sceptiques arguant que la société ne faisait que se baser sur l’origine ethnique et le sexe d’une personne (des paramètres faciles à déduire de l’ADN), puis se contentait de créer un visage « type ».
En effet, le même algorithme appliqué à une cohorte d’individus de même sexe et de même origine, s’est avéré beaucoup moins performant. Yaniv Erlich, directeur scientifique de la plateforme de généalogie MyHeritage, a d’ailleurs rapidement publié un article listant les « défauts majeurs » de l’étude menée par Human Longevity. « En bref, la technique des auteurs fonctionne de la même manière qu’une simple procédure de base, n’utilise pas la puissance des marqueurs du génome entier, utilise des mesures techniquement erronées et, finalement, n’identifie vraiment personne », résumait-il à l’époque.
Une autre société s’est également spécialisée dans le domaine de la représentation physique à partir d’ADN : il s’agit de Parabon NanoLabs, qui publie sur son site officiel des exemples de visages composites générés par algorithme, accompagnés d’une véritable photo de l’individu. Chaque « snapshot » détaille les caractéristiques phénotypiques, auxquels sont attribués des scores de confiance (tel individu a x% de chances d’être blond et x% de chances d’avoir les yeux verts par exemple). Parabon affirme que depuis le lancement de son logiciel en mai 2018, la société a aidé à identifier plus de 205 personnes recherchées par la police.
Une approche impossible dans l’état actuel de la science
Néanmoins, contrairement à Corsight, la société ne propose pas ici de reconnaissance faciale en tant que telle ; elle déduit de l’ADN une forme globale du visage et les caractéristiques phénotypiques les plus probables. En aucun cas les images composées de la sorte ne sont destinées à être exploitées ensuite par un système de reconnaissance. La technologie « ne vous indique pas le nombre exact de millimètres entre les yeux ou le rapport entre les yeux, le nez et la bouche », explique Ellen McRae Greytak, directrice de la bio-informatique de Parabon, des précisions qui sont, selon elle, indispensables aux algorithmes de reconnaissance. « Dériver des mesures aussi précises à partir de l’ADN nécessiterait des découvertes scientifiques fondamentalement nouvelles », a-t-elle ajouté.
Même constat pour Dzemila Sero, chercheuse au Computational Imaging Group, aux Pays-Bas, qui affirme que la science nécessaire pour parvenir à ce niveau de prédiction n’existe tout simplement pas encore. En outre, de nombreux facteurs extérieurs, ainsi que le vieillissement, affectent le visage d’une manière qui n’est pas « enregistrée » dans les gènes. Par conséquent, l’annonce de Corsight soulève pas mal de doutes. « L’idée que vous allez pouvoir créer quelque chose avec le niveau de granularité et de fidélité nécessaire pour effectuer une recherche de correspondance de visage, pour moi, c’est absurde », a déclaré Albert Fox Cahn, avocat spécialisé dans les droits civiques et directeur exécutif du Surveillance Technology Oversight Project.
Que Corsight soit capable ou non de recréer un visage à partir de l’ADN, l’annonce relance le débat sur les risques que représente la technologie de reconnaissance faciale. Plusieurs experts ont déjà relevé les problèmes de précision de ce type de technologie, qui varie selon l’éclairage ambiant, selon l’angle de vue, mais aussi selon le sexe ou l’origine ethnique des individus. À tel point que plusieurs grandes villes américaines ont interdit son utilisation par les forces de l’ordre. Si le portrait utilisé pour l’identification devient lui-même approximatif, les niveaux de précision n’en seront qu’encore plus faibles.