Fondée en 2021, la société Colossal Biosciences développe des technologies d’ingénierie génétique pour la conservation des espèces. Elle a déjà fait part de son intention de recréer et réintroduire le mammouth laineux et le thylacine (ou tigre de Tasmanie). Elle s’intéresse aujourd’hui à une autre espèce disparue depuis longtemps : le dodo, endémique de l’île Maurice.
Le dodo (Raphus cucullatus) était un oiseau très mystérieux, longtemps considéré comme une créature mythique. Des documents historiques prouvent toutefois que les marins néerlandais ont été les premiers à avoir enregistré la mention de son existence, en 1598. On ne sait pas quand ni comment l’espèce est apparue sur l’île Maurice. Incapable de voler, le dodo n’avait aucun prédateur naturel ; les femelles ne pondaient qu’un œuf par an, mais la population demeurait stable. Il prospérait ainsi paisiblement jusqu’à l’arrivée des premiers colons néerlandais, à la fin du 16e siècle.
Contrairement à la croyance populaire, le dodo n’était pas un animal stupide et maladroit. Mais parce qu’il n’avait jamais été une proie, le dodo constituait une cible facile : il ne se méfiait ni des humains ni des espèces envahissantes qui les accompagnaient (rats, chèvres, cochons, macaques, etc.). Les marins se nourrissaient de l’animal, les rats se nourrissaient de ses œufs. On estime que l’espèce a disparu entre 1662 et 1690. « À la fin du XVIIe siècle, l’homme a mis fin brutalement à l’espèce du dodo. Aujourd’hui, Colossal s’engage à le faire revivre », déclare la société, qui lève 150 millions de dollars supplémentaires pour poursuivre ses recherches sur cet oiseau disparu.
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Un oiseau pleinement adapté à la vie au sol
Pourquoi le dodo n’a-t-il jamais quitté l’île Maurice ? Les traits évolutifs indiquent que les conditions de vie étaient si idéales — tant par l’environnement lui-même que par l’absence de prédateur — que l’animal est finalement devenu incapable de voler, donc incapable de partir vers d’autres horizons. Au fil du temps, les ailes se sont réduites à leur plus strict minimum, tandis que le corps grossissait ; la tête de l’animal a rétréci et son bec s’est allongé, se courbant davantage de manière à pouvoir accéder facilement à la nourriture au sol (fruits tombés, racines, etc.). Il avalait également des gastrolithes (de petites pierres qui facilitaient le broyage des aliments et la digestion).
Le dodo pouvait mesurer entre 80 et 100 cm de haut, pour 13 à 23 kg, estiment les chercheurs. Pour soutenir ce corps massif, les os de ses deux pattes étaient particulièrement robustes ; l’animal possédait également un bassin et des rotules très larges — des caractéristiques qui lui permettaient de se déplacer aisément sur le sol accidenté et rocheux de l’île Maurice.
Malgré son apparence comique, le dodo était ainsi beaucoup plus agile qu’on ne le pense, souligne le Dr Léon Claessens, professeur de paléontologie et de l’évolution des vertébrés à l’Université de Maastricht. En résumé, l’oiseau a évolué pour prospérer au niveau du sol et c’est sans doute cela qui a entraîné sa perte à l’arrivée des colons.
Les scientifiques ont pu extraire du génome du dodo des traits clés qu’ils pensent pouvoir introduire dans le corps d’un parent vivant. L’ADN de l’animal provient de plusieurs restes fossiles conservés dans des musées. Le dodo appartient à la famille des Colombidés, qui regroupe aujourd’hui les colombes, les tourterelles et les pigeons. Le parent vivant le plus proche du dodo est le pigeon Nicobar, qui vit aujourd’hui sur les îles du même nom, au nord-est de l’océan indien. Cette espèce est malheureusement en voie de disparition.
« Il n’y a jamais eu autant d’urgence à préserver les espèces qu’aujourd’hui. Ce n’est pas seulement important pour la poursuite de leur existence. C’est pour le plus grand bien de la planète », a déclaré Beth Shapiro, professeure d’écologie et de biologie évolutive à l’Université de Santa Cruz et paléogénéticienne principale de la société.
Une procédure plus complexe que pour les mammifères
Le dodo étant un oiseau, la technique employée par Colossal est différente des projets précédents concernant le mammouth laineux et le thylacine. Dans le cas de mammifères, l’approche consiste à implanter du matériel d’édition de gènes dans le système reproducteur d’un parent proche de l’espèce éteinte — par exemple l’éléphant dans le cas du mammouth laineux, dont les premiers « nouveaux spécimens » sont attendus pour 2027, selon la société.
En raison de la complexité de leurs voies de reproduction, la technique est beaucoup moins évidente pour les oiseaux. Ici, les chercheurs vont modifier le matériel génétique du pigeon Nicobar de manière à ce qu’il reflète les caractéristiques clés du dodo (en particulier son incapacité à voler). Les cellules génétiquement modifiées, appelées cellules germinales primordiales, seront ensuite transférées dans un hôte de substitution d’une autre espèce, la poule. Colossal estime que les premiers dodos verront le jour d’ici six ans.
Dans tous les cas, le dodo ressuscité ne sera jamais un remplaçant exact de celui qui s’est éteint, prévient Beth Shapiro, interrogée par le Guardian. « Ce que nous essayons de faire, c’est d’isoler les gènes qui distinguent le dodo », a-t-elle déclaré. Les recherches de Colossal Biosciences visent non seulement à mieux cerner l’existence et le comportement du dodo pour lui redonner vie, mais pourraient aider à la conservation des espèces qui se trouvent au bord de l’extinction.
En effet, les nouvelles techniques mises en œuvre ici pourraient permettre aux scientifiques de discerner et de préserver les traits clés des espèces actuelles, qui pourraient être essentiels pour les aider à s’adapter au changement climatique.
Certains scientifiques demeurent toutefois sceptiques quant aux efforts déployés pour ressusciter des espèces éteintes, à l’instar du professeur Ewan Birney, directeur adjoint du Laboratoire européen de biologie moléculaire : « La question n’est pas seulement de savoir si on peut le faire, mais si on doit le faire. […] Je ne suis pas sûr de l’utilité de cette mesure et je ne suis pas sûr que ce soit vraiment la meilleure allocation des ressources. Nous devrions sauver les espèces que nous avons avant qu’elles ne s’éteignent », a-t-il déclaré au journal britannique.