Après les images révélées hier au monde exposant les capacités spectaculaires du télescope spatial James Webb, la Nasa a publié les premiers résultats de son exploration de l’Univers. Les mesures les plus précises à ce jour de la lumière stellaire passant à travers l’atmosphère d’une planète située en dehors de notre système solaire, à 1150 années-lumière, révèlent la signature distincte de l’eau. Les capacités d’observation ultrafine de Webb ont également permis d’obtenir des preuves de la présence de brume et de nuages, que les études précédentes de cette même planète n’ont pas obtenues. La force du signal que le télescope a détecté laisse entrevoir le rôle important qu’il jouera dans la recherche de planètes potentiellement habitables dans les années à venir.
Le 12 juillet marque un tournant historique dans l’exploration de l’Univers et la capacité de l’Homme à repousser les limites technologiques. Le plus puissant télescope spatial du monde, James Webb, a transmis l’image la plus profonde de l’Univers, révélant des galaxies datant de près de 13 milliards d’années, donc toutes proches du Big Bang (13,8 milliards d’années). La NASA a ensuite publié une série d’images de certaines parties de l’Univers avec des détails à couper le souffle.
La puissance d’observation du télescope Webb, travaillant notamment dans l’infrarouge — pour se départir de la contamination par la poussière cosmique au niveau des observations, et examiner les objets célestes froids ou très lointains — permettra de sonder des confins de l’Univers encore inexplorés, mais aussi d’apporter des précisions aux précédentes mesures effectuées avec Hubble.
C’est ainsi que la NASA a publié, le 12 juillet, les premières analyses scientifiques effectuées grâce aux données de James Webb concernant une exoplanète découverte en 2014, WASP-96 b, dans la Voie lactée. Il s’agit d’une planète géante gazeuse chaude et gonflée en orbite autour d’une étoile lointaine (à 1150 années-lumière) semblable au Soleil.
La cible parfaite pour un spectre de transmission
WASP-96 b est située à environ 1150 années-lumière, dans la constellation du ciel méridional Phoenix, elle représente un type de géante gazeuse qui n’a pas d’analogue direct dans notre système solaire. Avec une masse inférieure à la moitié de celle de Jupiter et un diamètre 1,2 fois plus grand, WASP-96 b est beaucoup moins dense que n’importe quelle planète en orbite autour du Soleil. WASP-96 b orbite extrêmement près de son étoile — sa température de surface moyenne est supérieure à 537 °C —, à seulement un neuvième de la distance séparant Mercure du Soleil, effectuant un tour complet de son étoile tous les 3,5 jours terrestres.
La combinaison d’une grande taille, d’une courte période orbitale, d’une atmosphère peu dense et d’un « manque » de lumière contaminante provenant d’objets à proximité dans le ciel, fait de WASP-96 b une cible idéale pour les observations atmosphériques. Le 21 juin, l’imageur proche infrarouge et le spectrographe sans fente (NIRISS) de Webb ont mesuré la lumière du système WASP-96 selon la méthode dite du transit.
De manière concrète, si une planète passe directement entre une étoile et la ligne de visée d’un observateur, elle bloque une infime partie de la lumière de l’étoile, réduisant ainsi sa luminosité apparente. Les instruments sensibles peuvent détecter cette baisse périodique de la luminosité. À partir de la période et de la profondeur des transits, l’orbite et la taille des compagnons planétaires peuvent être calculées. Des planètes plus petites produiront un effet plus petit, et vice-versa. Une planète tellurique sur une orbite semblable à celle de la Terre, par exemple, produirait une minuscule baisse de luminosité stellaire qui ne durerait que quelques heures.
Pour capturer ces données, Webb a observé le système stellaire WASP-96 pendant 6h et 23 minutes, en commençant environ deux heures et demie avant le transit et terminant environ une heure et demie après la fin du transit. Le transit lui-même a duré un peu moins de deux heures et demie. La courbe comprend un total de 280 mesures de luminosité individuelles — une toutes les 1,4 minute.
Ainsi, le résultat est une courbe de lumière montrant la progression globale de la lumière des étoiles pendant le transit de la planète autour de son étoile, et un spectre de transmission révélant le changement de luminosité des longueurs d’onde individuelles de la lumière infrarouge entre 0,6 et 2,8 microns.
Il faut savoir qu’un spectre de transmission permet de sonder l’atmosphère d’une planète. En effet, il est créé en comparant la lumière des étoiles filtrée par l’atmosphère d’une planète, lorsqu’elle transite autour de son étoile, à la lumière des étoiles non filtrée détectée lorsque la planète est à côté de l’étoile. Les chercheurs sont capables de détecter et de mesurer les abondances de gaz clés dans l’atmosphère d’une planète en fonction du modèle d’absorption — les emplacements et les hauteurs des pics sur le spectre. Comme les empreintes digitales et des séquences d’ADN distinctes, les atomes et les molécules ont des modèles caractéristiques de longueurs d’onde qu’ils absorbent. On déduit ainsi la composition de l’atmosphère.
De l’eau sous plusieurs formes
Alors que la courbe de lumière confirme les propriétés de la planète qui avaient déjà été déterminées à partir de précédentes observations — l’existence, la taille et l’orbite de la planète — le spectre de transmission révèle des détails, jusque-là insoupçonnés, de l’atmosphère : la signature sans ambiguïté de l’eau, des indications de brume, et des preuves de nuages.
Le spectre de WASP-96 b capturé par NIRISS est non seulement le spectre de transmission proche infrarouge le plus détaillé d’une atmosphère d’exoplanète capturé à ce jour, mais il couvre également une gamme remarquablement large de longueurs d’onde, dont certaines n’étaient pas accessibles auparavant avec d’autres télescopes (longueurs d’onde supérieures à 1,6 micron). D’ailleurs, cette partie du spectre est particulièrement sensible à l’eau ainsi qu’à d’autres molécules clés comme l’oxygène, le méthane et le dioxyde de carbone, qui ne sont pas immédiatement évidents dans le spectre de WASP-96 b, mais qui devraient être détectables dans d’autres exoplanètes prévues pour l’observation par Webb. NIRISS est capable de détecter des différences de longueur d’onde d’environ un millième de micron seulement (la différence entre le vert et le jaune est d’environ 50 microns) et des différences de luminosité entre ces couleurs de quelques centaines de parties par million.
Les chercheurs pourront utiliser le spectre pour mesurer la quantité de vapeur d’eau dans l’atmosphère, et caractériser l’abondance de divers éléments comme le carbone et l’oxygène. D’ailleurs, ils ont estimé la température de l’atmosphère à 725 °C, soit bien plus élevée que la précédente estimation. Par la suite, ils pourront utiliser ces informations pour faire des déductions sur la composition globale de la planète, et retrouver son histoire.
L’extrême stabilité de Webb et sa position orbitale autour du point de Lagrange 2, à 1 500 000 kilomètres de la Terre, permettent une vue complètement dégagée et ininterrompue pour des données sans contamination, notamment par l’atmosphère terrestre. Ces dernières pourront être analysées plus rapidement que celles issues de Hubble.
Au cours de l’année à venir, les chercheurs utiliseront la spectroscopie pour analyser la surface et l’atmosphère de plusieurs dizaines d’exoplanètes, des petites planètes rocheuses aux géantes riches en gaz et en glace. Près d’un quart du temps d’observation du cycle 1 de Webb est consacré à l’étude des exoplanètes et des matériaux qui les composent.
Cette observation de NIRISS démontre que Webb a le pouvoir de caractériser les atmosphères des exoplanètes, y compris celles des planètes potentiellement habitables. La « prédiction » de Stephen Hawking en 2016 prend de la profondeur avec les capacités de Webb : « Je ne pense pas que nous survivrons 1000 ans de plus si nous ne nous échappons pas de notre fragile planète. […] Il faudrait que nous nous soyons déjà propagés dans l’espace, vers d’autres étoiles, de sorte qu’un désastre sur la Terre ne signifierait pas la fin de la race humaine ».