En octobre dernier, pour la première fois, une équipe médicale a été holoportée sur l’ISS. L’astronaute Thomas Pesquet a pu discuter et interagir avec le Dr Josef Schmid, médecin de la NASA, comme s’il était à bord à ses côtés. C’est la première fois que cette technologie est mise en pratique dans des conditions aussi atypiques. Cette démonstration pose les bases d’une nouvelle forme de communication, qui pourrait être très utile lors de futures missions spatiales.
La télémédecine a connu un certain essor ces dernières années, accentuée par les deux années de pandémie lors desquelles l’accès aux soins était limité. Selon les chiffres de l’Assurance Maladie, au cours du premier semestre 2020, alors que la COVID-19 sévissait dans le pays, le nombre de téléconsultations a explosé en France : il est passé de 40 000 actes en février, à 4,5 millions en avril ! Le phénomène s’est atténué depuis, mais la crise sanitaire a permis la diffusion et l’adoption rapide de cette nouvelle pratique, tant auprès des médecins que des patients.
La télémédecine présente des avantages indéniables : désengorgement des cabinets médicaux, accès aux soins facilité pour les personnes à mobilité réduite, solution aux déserts médicaux, etc. Grâce aux progrès technologiques liés à cette médecine à distance, il est aujourd’hui possible de proposer un accès aux soins même dans les lieux les plus improbables, à l’image du dernier exploit en date : l’holoportation d’un médecin de la NASA et de toute son équipe à bord de la Station spatiale internationale. Une consultation à distance sans écran interposé, qui ressemble davantage à une visite à domicile…
Faire voyager « l’entité humaine » au-delà de la Terre
C’est à l’aide de la caméra Hololens Kinect de Microsoft et d’un ordinateur équipé d’un logiciel spécifiquement développé pour cet usage par AEXA Aerospace, que Thomas Pesquet a pu s’entretenir en direct avec le Dr Josef Schmid — ou plutôt, avec une reconstitution en 3D du Dr Josef Schmid (et de ses collègues). L’événement, qui s’est déroulé le 8 octobre 2021, était une première mondiale — la première poignée de main échangée par holoportation depuis la Terre dans l’espace.
L’holoportation — ainsi nommée par Microsoft, qui est à l’origine de la technologie — consiste à effectuer une capture 3D (via plusieurs caméras) d’une personne et de transmettre en direct et en temps réel les images capturées à un ou des interlocuteur(s) doté(s) d’équipements de réalité mixte, tels que les HoloLens de Microsoft — ces lunettes permettent de simuler des hologrammes et de les intégrer dans le champ de vision de l’utilisateur. Ce dernier peut ainsi voir, entendre et même interagir avec l’interlocuteur distant comme s’ils étaient tous les deux dans la même pièce.
Cela fait plusieurs années maintenant que Microsoft travaille sur cette technologie, mais c’est la première fois qu’elle est mise en œuvre dans un environnement aussi extrême que l’espace (et à plus de 400 km de distance !). « C’est un tout nouveau mode d’exploration humaine, où notre entité humaine est capable de voyager hors de la planète. Notre corps physique n’est pas là, mais notre entité humaine est bien là », souligne le Dr Schmid dans un communiqué.
Après ce premier essai concluant, la NASA prévoit d’organiser d’autres sessions de communication bidirectionnelle, lors desquelles les deux parties seront équipées d’équipements de réalité mixte : les proches des astronautes pourront être holoportés sur l’ISS et inversement, les astronautes passeront quelque temps « virtuellement » sur Terre. Outre ces rencontres familiales, la technologie servira à tenir des consultations médicales et psychiatriques lors des missions, dès que nécessaire ; certains VIP pourront également en bénéficier pour une expérience hors du commun à bord de l’ISS.
Vers une collaboration immersive dans l’espace
À noter que ce mode de communication, bien que déjà très impressionnant, n’en est qu’à ses prémices. En effet, la NASA évoque déjà la possibilité de pousser encore plus loin cette expérience immersive en combinant l’holoportation avec la réalité augmentée et l’haptique (la perception et la manipulation d’objets), afin de mettre en place un véritable « télémentorat ».
Concrètement, un instructeur ou un ingénieur pourrait être holoporté momentanément à bord d’un vaisseau spatial pour aider l’équipage à résoudre un problème ou effectuer une quelconque réparation. Certes, nous sommes encore loin de la téléportation, mais ces projets s’apparentent déjà à de la vraie science-fiction et pourraient être intégrés aux futures explorations de l’espace lointain.
Pour rappel, la première téléchirurgie a été réalisée il y a plus de vingt ans, en septembre 2001 : une patiente de 78 ans, hospitalisée à Strasbourg, avait subi avec succès l’ablation de sa vésicule biliaire, réalisée par une équipe se trouvant à New York, à près de 7000 km de distance. Depuis, les progrès de la robotique et des réseaux de télécommunications ont progressivement ouvert la voie à ce type d’interventions.
Plus récemment, une équipe de chirurgiens italiens a testé cette approche via un réseau 5G, pour mener une opération des cordes vocales (sur un cadavre, à titre de démonstration) à 15 km de distance ; les médecins disposaient de lunettes de réalité virtuelle et d’un appareil de rétroaction haptique pour contrôler les appareils à distance. Les chirurgiens ont rapporté un décalage de 280 millisecondes maximum entre les commandes et les actions du robot lors de cette opération, qui s’est bien déroulée.
Dans l’espace en revanche, cette latence sera un vrai problème : alors que l’humanité prévoit de se rendre sur Mars, l’un des obstacles à surmonter sera justement les délais de communication, qui peuvent aller jusqu’à 20 minutes dans chaque sens, que ce soit pour de simples transmissions radio, des flux vidéo ou de nouvelles technologies comme l’holoportation.
Quoiqu’il en soit, si elle ne permet pas d’envisager une chirurgie à distance dans ce contexte, l’holoportation aura le mérite de contribuer au bien-être mental de l’équipage. Ce mode de communication permettra d’établir un lien plus vrai que nature avec la Terre et de rompre l’isolement. Elle pourra d’ailleurs être exploitée également sur Terre, au bénéfice d’individus travaillant dans des environnements extrêmes et isolés (en Antarctique, ou sur des plateformes pétrolières maritimes par exemple).