Des chercheurs de l’Université de Californie, à San Francisco, ont découvert un moyen d’utiliser la stimulation cérébrale profonde pour traiter la dépression. Cette nouvelle approche basée sur la neuromodulation personnalisée a permis, en quelques minutes seulement, de soulager les symptômes d’une dépression sévère chez un patient sur lequel les traitements traditionnels restaient sans succès.
La neuromodulation ciblée est aujourd’hui de plus en plus utilisée pour traiter les circuits cérébraux défaillants des personnes atteintes d’épilepsie ou de la maladie de Parkinson. Les scientifiques ont démontré que la méthode pouvait être adaptée au traitement de la dépression sévère, pour les cas de patients ne répondant pas aux thérapies existantes et présentant de ce fait un haut risque de suicide. Pour un résultat optimal, la stimulation doit toutefois être adaptée aux humeurs et aux symptômes spécifiques de chaque patient.
Comme l’explique Katherine Scangos, professeure adjointe au Département de psychiatrie et des sciences du comportement de l’UCSF et co-auteure de la nouvelle étude, les tentatives antérieures de neuromodulation ont toujours été effectuées sur une même zone cérébrale, chez l’ensemble des patients, à des moments pas nécessairement en accord avec l’état psychologique des patients. Or, la dépression affecte les individus de différentes manières, d’où l’idée de « cartographier » les sites cérébraux à cibler selon les symptômes de chacun.
Des stimulations ciblées, à réaliser au moment opportun
La dépression fait partie des troubles psychiatriques les plus courants ; elle touche près de 264 millions de personnes dans le monde et entraîne des centaines de milliers de décès chaque année (5 à 20% des patients se suicident). Selon l’Inserm, une personne sur cinq a souffert ou souffrira d’une dépression au cours de sa vie — des chiffres qui seront sûrement en augmentation en raison de la pandémie. Malheureusement, dans 30% des cas, les traitements standards, tels que les médicaments ou la psychothérapie, n’ont aucun effet. Certaines personnes répondent positivement à l’électroconvulsivothérapie (ECT), mais la stigmatisation et les effets secondaires de cette approche la rendent indésirable pour beaucoup.
Scangos et ses collègues ont testé leur méthode de neuromodulation ciblée sur une patiente de 36 ans souffrant de dépression sévère résistante au traitement depuis l’enfance. Leurs résultats ont été publiés dans la revue Nature Medicine. Ils ont implanté dix électrodes intracrâniennes chez cette patiente, et pendant dix jours, ils ont cartographié les effets d’une stimulation légère sur un certain nombre de régions du cerveau qui, selon des recherches antérieures, étaient susceptibles d’avoir un effet sur l’humeur.
Ils ont ainsi découvert que ces stimulations électriques ciblées, d’une durée de 90 secondes, pouvaient produire de manière fiable un éventail d’états émotionnels positifs : « des picotements de plaisir », une sensation de plaisir calme « comme lire un bon livre », ou encore une sensation de « vigilance neutre », selon les termes de la patiente. L’équipe a ensuite effectué une stimulation plus prolongée (de 3 à 10 minutes) de trois zones cérébrales en particulier : ils ont alors constaté que cela influait grandement sur les symptômes de la patiente, plus ou moins positivement selon son état mental du moment. Par exemple, lorsqu’elle éprouvait de l’anxiété, la patiente a déclaré que la stimulation avait un effet positif et apaisant, mais si la même stimulation était délivrée lorsqu’elle ressentait une baisse d’énergie, cela aggravait son humeur et la rendait excessivement somnolente.
Dans leur étude, les chercheurs se sont concentrés sur une zone cérébrale en particulier, appelée striatum ventral, qui semblait mieux répondre aux principaux symptômes de manque d’énergie et de perte de plaisir de la patiente dans les activités quotidiennes. La stimulation de cette zone a redonné à la participante la sensation de plaisir qu’elle éprouvait par le passé, lorsqu’elle se livrait à ces activités : « j’ai réalisé que j’aimais le faire, ce que je n’avais pas ressenti depuis des années ».
Un implant cérébral pour soutenir le patient en continu
Les résultats sont spectaculaires, si l’on en croit la réaction de la patiente : « Je n’avais pas vraiment ri de quoi que ce soit depuis peut-être cinq ans, mais j’ai soudainement ressenti un véritable sentiment de joie et de bonheur, et le monde est passé de nuances de gris foncé… à un simple sourire », décrit-elle. Le traitement a duré une dizaine de jours, lors desquels ses symptômes se sont considérablement améliorés ; suite à quoi la patiente est restée sans éprouver de symptômes liés à la dépression pendant six semaines. « Le fait que nous puissions éliminer les symptômes de cette patiente pendant des heures avec seulement quelques minutes de stimulation ciblée était remarquable à voir », a déclaré Andrew Krystal, psychiatre à l’UCSF et auteur principal de l’étude.
Lorsque les symptômes de la patiente sont revenus après sa rémission initiale, elle a été équipée d’un implant cérébral qui offre une stimulation similaire, en délivrant des chocs électriques imperceptibles en cas de besoin — l’appareil est déjà largement utilisé pour contrôler les crises des patients épileptiques. Concrètement, le dispositif détecte ici le signe d’activité cérébrale indiquant que l’individu se dirige vers un état déprimé, puis délivre la stimulation nécessaire pour contrer cet effet.
Le dispositif a été implanté en juin 2020, puis activé en août, et jusqu’à présent, la participante à l’étude a signalé que ses symptômes — qui au cours des sept dernières années l’avaient empêchée de conserver un emploi ou même de conduire — avaient presque complètement disparu, malgré des facteurs de stress importants (COVID-19, parents malades, etc.). Elle déclare qu’elle est capable de profiter de sa vie pour la première fois depuis des années. « Nous espérons que fournir une neuromodulation douce tout au long de la journée pourra empêcher les patients de tomber dans des épisodes dépressifs de longue durée », a déclaré Katherine Scangos.
Cette étude de cas n’a impliqué qu’un seul participant, mais elle constitue les bases d’un essai clinique majeur d’une durée de cinq ans, dénommé essai PRESIDIO, visant à évaluer l’efficacité de la neuromodulation personnalisée chez 12 patients atteints de dépression sévère résistante au traitement. L’objectif sera de mettre au point des dispositifs de neuromodulation programmés pour répondre en temps réel à un déséquilibre des circuits cérébraux. « Notre essai va être révolutionnaire en ce sens que chaque personne participant à l’étude va potentiellement bénéficier d’un traitement différent et personnalisé », souligne Andrew Krystal. Cette étude met également en évidence le fait que la dépression sévère est bien une maladie du circuit cérébral et qu’un « coup de pouce » ciblé permet de revenir rapidement à un état sain.