Les mystérieuses pierres qui composent le site de Stonehenge, au sud de l’Angleterre, seraient disposées de telle façon à représenter une année solaire de 365,25 jours, selon une nouvelle étude. Les préhistoriens suspectent depuis longtemps que ce monument mégalithique pouvait avoir cette utilité, du fait qu’il est aligné avec les solstices, mais l’objectif spécifique et le fonctionnement exact restaient inconnus. Timothy Darvill, du département d’archéologie et d’anthropologie de l’Université de Bournemouth, apporte aujourd’hui une explication potentielle.
Les pierres de sarsen qui composent le monument sont disposées en trois structures distinctes : un grand cercle de 30 pierres, quatre pierres de position (station stones) en formation rectangulaire situées à l’extérieur du cercle, puis cinq trilithes — deux pierres verticales surmontées d’une troisième posée horizontalement sur le dessus. Or, de récentes analyses ont montré que ces trois structures ont toutes été mises en place au cours de la période 2620-2480 av. J.-C. ; elles n’ont jamais été déplacées. Mais surtout, il se trouve que ces pierres proviennent toutes de la même source : de West Woods, dans le comté du Wiltshire, à 25 km au nord de Stonehenge.
Par conséquent, il est clair que ces pierres fonctionnaient comme une seule et même unité. Le professeur Timothy Darvill les a donc examinées d’un peu plus près et a entrepris de comparer leur numérologie aux calendriers de l’époque. Il est rapidement apparu que les 30 pierres qui composaient le cercle principal représentaient les 30 jours d’un mois ; un mois était lui-même divisé en trois périodes de 10 jours — sur la base de la présence de deux pierres distinctes (plus étroites que les autres) dans le cercle, aux 11e et 21e positions, marquant a priori le début de chaque semaine. Ainsi, ce calendrier aidait vraisemblablement les habitants du Wiltshire à suivre le temps.
Un alignement et une numérologie qui suggèrent un système solaire
Les pierres situées dans et en-dehors du cercle avaient aussi leur importance : si l’on multiplie 30 par 12, on obtient 360 ; si l’on ajoute 5 jours supplémentaires — représentés ici par les cinq trilithes — on obtient 365. Et pour que le calendrier corresponde très précisément à une année solaire, il était nécessaire d’introduire une année bissextile (soit un jour supplémentaire) tous les quatre ans — une fréquence qui serait représentée par les quatre pierres de position (dont deux subsistent aujourd’hui), explique Darvill dans un communiqué.
Toute l’architecture repose sur un unique axe, orienté du nord-est au sud-ouest, qui relie les points où le soleil se lève pendant le solstice d’été (au nord-est) et se couche pendant le solstice d’hiver (au sud-ouest). Dans cette configuration, les solstices d’hiver et d’été étaient encadrés par les mêmes paires de pierres chaque année. L’historien note par ailleurs que l’un des trilithes, le plus haut du monument, encadre également le solstice d’hiver — ce que Darvill interprète comme une potentielle indication d’une nouvelle année qui commence.
Le fait que le monument soit ainsi aligné avec les solstices confirme qu’il s’agit d’un système calendaire de type solaire. Il a d’ailleurs sans doute permis de corriger d’éventuelles erreurs de comptage de jours (aisément repérables dès lors que le soleil n’apparaît plus où il le devrait au moment des solstices).
Dans ce calendrier, le jour de l’an (mois 1/jour 1) est physiquement symbolisé par la pierre n° 1. Six mois (soit 18 décans ou 180 jours solaires) plus tard, le jour 29 du 6e mois marque le début du solstice d’été, dont la durée s’étend sur les trois derniers jours du 6e mois et les deux premiers jours du 7e mois. Six mois plus tard (mois 12/jour 30), c’est le début du mois intercalaire de cinq jours, qui constitue la période du solstice d’hiver, clôturant l’année.
Un repère pour célébrer les Dieux au meilleur moment
Un calendrier composé de semaines de 10 jours et d’un mois supplémentaire de cinq jours nous paraît évidemment hors du commun. Mais pour l’époque, il s’agissait d’une pratique assez courante. « Un tel calendrier solaire a été développé en Méditerranée orientale au cours des siècles après 3000 av. J.-C. et a été adopté en Égypte comme calendrier civil vers 2700 av. J.-C., puis a été largement utilisé au début de l’Ancien Empire vers 2600 av. J.-C. », souligne le spécialiste.
« Il est tout à fait possible que les communautés vivant dans le nord-ouest de l’Europe à la fin du IVe et au IIIe millénaire av. J.-C. aient développé de leur propre initiative un calendrier solaire du type suggéré ici », ajoute Darvill dans le document de l’étude, paru dans la revue Antiquity. En effet, d’autres sites mégalithiques identifiés en Irlande ou dans les îles Orkney s’alignent également avec des événements astronomiques. Mais le fait que ce calendrier repose sur les mêmes principes que ceux observés dans d’autres civilisations peut aussi signifier que la construction de ce monument mégalithique a été influencée par d’autres cultures.
Une hypothèse corroborée par la découverte, en 2002, de l’archer d’Amesbury — la sépulture d’un homme ayant vécu à la fin du Néolithique, dont la tombe a été découverte près d’Amesbury, non loin du site de Stonehenge. L’analyse isotopique des ossements a montré que l’individu a passé son enfance en Europe centrale, autour des Alpes, avant de migrer en Grande-Bretagne. Darvill espère que de futures recherches, basées sur de l’ADN ancien et des objets archéologiques, pourront révéler les liens éventuels entre ces différentes cultures.
Quant aux raisons qui ont poussé les hommes à ériger ce monument calendaire, l’incertitude demeure. Darvill pense qu’il aurait pu servir de repère aux agriculteurs, en quête des moments les plus opportuns pour célébrer et satisfaire au mieux les Dieux, afin d’obtenir leurs faveurs et protéger les récoltes. Une autre hypothèse soutient que ce type de calendrier était, pour les élites, un moyen de légitimer leur pouvoir.