Le 15 janvier, l’Organisation mondiale de la santé a appelé l’ensemble des pays du monde à réaliser davantage de séquençages du génome viral, afin de mieux pouvoir faire face à l’émergence de variants. C’est une stratégie suivie par l’Islande depuis le début de la pandémie. Avec un taux de mortalité de 8,5 pour 100’000 habitants (29 décès officiels au total), c’est l’un des pays européens les moins durement touchés par la maladie.
Ces dernières semaines, plusieurs variants du SARS-CoV-2 ont commencé à émerger : au Royaume-Uni, en Afrique du Sud, aux États-Unis et au Japon. Un phénomène de mutation considéré comme « normal » pour les experts, mais néanmoins extrêmement rapide. Si ces variants ne sont pas plus dangereux pour la santé humaine que le virus initial, ils pourraient cependant compromettre l’efficacité des vaccins et des traitements disponibles aujourd’hui.
C’est pourquoi l’évolution du virus de la COVID-19 est surveillé de très près. Et les scientifiques islandais font figure d’exemple en la matière : depuis 10 mois, à la demande des autorités sanitaires, le groupe biopharmaceutique deCODE genetics, situé à Reykjavik, se livre au séquençage génomique de chaque test positif au coronavirus identifié parmi la population islandaise.
Des données essentielles à la prise de décision
Selon Olafur Thor Magnusson, responsable du laboratoire, le séquençage en lui-même n’est pas si chronophage : « environ trois heures suffisent, car nous avons suffisamment de données séquencées pour pouvoir déterminer de quelle souche du virus il s’agit ». Ceci dit, si l’on considère l’ensemble du processus — qui consiste à isoler l’ADN de chaque échantillon, le purifier à l’aide de billes magnétiques pour le débarrasser des excès de matière, puis l’analyser à l’aide d’un séquenceur de gènes — il faut compter jusqu’à un jour et demi. Mais grâce à cette initiative, l’Islande a déjà identifié 463 variantes distinctes.
Quelque 6000 échantillons positifs de COVID-19 ont été séquencés, faisant de l’Islande le leader mondial du séquençage du coronavirus. « Le séquençage des échantillons est essentiel pour nous aider à suivre l’état et l’évolution de l’ épidémie », a déclaré la Ministre islandaise de la Santé, Svandis Svavarsdottir. Selon elle, ce sont ces informations qui ont permis au gouvernement de prendre les décisions adéquates pour freiner la propagation du virus.
À titre d’exemple, le séquençage a permis de mettre en évidence un lien clair entre les différents visiteurs d’un bar au centre de Reykjavik et la majorité des infections observées au cours d’une nouvelle vague de contaminations à la mi-septembre. Par la suite, les autorités ont pris la décision de fermer les bars et les boîtes de nuit de la capitale. Le séquençage massif a également permis d’identifier une souche distincte chez deux touristes français, qui ont été testés positifs à leur arrivée en Islande ; ils avaient initialement été accusés, à tort, d’être à l’origine du nouveau pic de contaminations de septembre.
À ce jour, aucun cas de variant sud-africain n’a été détecté en Islande. Le pays compte cependant 41 personnes porteuses du variant britannique. Elles ont toutes été identifiées dès leur entrée sur le territoire, où des tests PCR sont systématiquement réalisés sur les voyageurs. Par conséquent, le variant ne s’est pour le moment pas propagé sur l’île.
Un « jeu d’enfant » pour deCODE genetics
La Grande-Bretagne, le Danemark, l’Australie et la Nouvelle-Zélande se livrent eux aussi au séquençage massif des échantillons de coronavirus prélevés au sein de leur population ; mais aucun n’atteint les niveaux de l’Islande. Son secret ? Le laboratoire deCODE genetics, fondé en 1996, dont la cartographie génétique est la spécialité. En 2015 déjà, l’entreprise avait effectué la plus grande étude génétique jamais réalisée sur une population : dans le cadre d’une étude sur les facteurs de risque du cancer, elle avait séquencé le génome complet de 2500 Islandais et étudié le profil génétique d’un tiers de la population (qui s’élevait à 330’000 habitants à l’époque).
L’entreprise est donc particulièrement bien « rodée » à l’exercice et le séquençage des échantillons de SARS-CoV-2 lui apparaît presque comme un jeu d’enfant : « Il est très facile de séquencer ce génome viral : il ne s’agit que de 30’000 nucléotides, ce n’est rien », ironise Kari Stefansson, fondateur et directeur général de l’entreprise. Il est certain que, mis en balance avec les analyses réalisées par le laboratoire en temps normal — à savoir l’analyse du génome humain constitué de 3,4 milliards de paires de nucléides ou de molécules organiques — la tâche semble beaucoup moins fastidieuse.
Le séquençage rigoureux effectué par le laboratoire islandais s’est avéré fort utile pour suivre la propagation du virus, mais Stefansson fait remarquer que cet effort d’envergure n’a pas encore permis d’aboutir à d’éventuelles découvertes majeures pouvant faire avancer la lutte contre la pandémie : « S’il existe des différences entre les virus présentant divers types de mutations, elles ne sont pas très évidentes. Pas suffisamment évidentes pour que nous puissions les saisir ».
Face à l’apparition de nouveaux variants plus contagieux, le Comité d’urgence de l’OMS appelle la communauté internationale à prendre l’exemple de l’Islande et à intensifier le séquençage génomique du virus ; il appelle également à une plus grande collaboration scientifique et au partage des données pour pouvoir faire face « aux inconnues critiques » qui demeurent concernant l’évolution du virus. L’OMS souhaite également que les campagnes de vaccination contre la COVID-19 aient débuté dans tous les pays du monde dans les cents prochains jours.