Selon une nouvelle étude, le stress chronique lié à l’activité professionnelle pourrait entraîner avec le temps de profonds changements physiologiques chez les individus qui le subissent, ce qui peut aboutir à un véritable changement de personnalité. Les auteurs de cette étude proposent un modèle permettant de prédire ces modifications.
Jusqu’à présent, les différentes études de comportement organisationnel — soit le comportement humain en contexte professionnel — avaient toujours conclu à une relative stabilité des traits de personnalité des individus au fil du temps. Mais cette fois-ci, les chercheurs ont basé leur analyse sur la génétique et l’épigénétique — soit l’étude des altérations génétiques entraînant un changement au niveau de l’expression des gènes transmis à la progéniture.
Leur étude met notamment en lumière la façon dont le stress peut affecter les processus neurochimiques du corps, jusqu’à entraîner un profond changement de personnalité, à court et à long terme. Elle fournit par la même occasion une feuille de route pour comprendre comment ce changement influence les résultats professionnels — tant au niveau individuel qu’au niveau de toute l’entreprise — et comment intervenir pour atténuer, voire inverser les effets délétères du stress au travail.
Une question de perception
Jarvis Smallfield, chercheur en comportement organisationnel à l’Université de l’Illinois à Urbana-Champaign et co-auteur de l’étude, explique que nos traits de personnalité dépendent, certes, de nos gènes, mais pas uniquement de leur simple présence ; ils dépendent surtout des parties exprimées de nos gènes. « Bien que les gènes soient généralement immuables, leur expression ne l’est pas », souligne le spécialiste.
Le stress au travail est évidemment une notion très subjective. Le caractère stressant d’une situation dépend de l’événement et de l’individu ; c’est ce qui va déterminer la quantité et le type de stress subi par l’individu en question et ainsi, la nature des réponses neurobiologiques du cerveau. De ce fait, une situation stressante peut à la fois être perçue comme une menace, faisant obstacle aux objectifs, ou à l’inverse, comme un défi permettant de progresser.
Dans leur étude, Smallfield et son collègue Donald Kluemper montrent que les évaluations du stress conduisent à des réponses physiologiques à court terme, au niveau de l’axe hypothalamo-pituitaire-adrénalien — qui relie les systèmes nerveux central et endocrinien (impliquant l’hypothalamus, l’hypophyse et les glandes surrénales) — et des systèmes dopaminergique et sérotoninergique du cerveau. Ces réponses provoquent à leur tour des fluctuations à court terme de la personnalité.
Mais au fil du temps, la charge exercée sur ces différents systèmes par le stress chronique modifie l’épigénome des individus, qui contient l’enregistrement de toutes les modifications chimiques apportées à l’ADN. Or, ces modifications de l’épigénome peuvent entraîner des modifications de la personnalité à long terme. En effet, de récentes recherches ont suggéré que des environnements sociaux, tels qu’un lieu de travail, peut influencer la régulation de l’expression génétique et altérer les points de réglage neurochimiques des systèmes liés à la personnalité.
Les chercheurs expliquent que la nature et l’intensité des modifications appliquées sur ces points de réglage dépendent probablement de la façon dont les facteurs de stress chronique sont perçus (menace ou défi). « Ce qui est passionnant, c’est que cette expression génétique, qui assure la stabilité de vos traits de personnalité, est également le mécanisme via lequel ces traits peuvent changer au cours de la vie — lorsque l’on traverse une étape marquante ou que l’on change d’environnement », souligne Smallfield.
Comment éviter un tel changement de personnalité ?
Parce que l’environnement de travail peut avoir un effet durable sur la personnalité des individus et sur l’efficacité des groupes de travail, la responsabilité des entreprises va donc bien au-delà de la traditionnelle relation employeur-employé. Les auteurs de l’étude précisent que les changements de personnalité peuvent aussi être occasionnés par des facteurs de stress en apparence légers. Ainsi, même d’infimes changements dans les activités ou l’ambiance d’une entreprise peuvent avoir des répercussions. Pour éviter d’impacter la personnalité des employés, Smallfield et Kluemper recommandent ainsi aux entreprises d’apprendre à leur personnel à percevoir les facteurs de stress comme des opportunités ou de nouveaux défis à relever.
Il pourrait également être intéressant de mettre en place des moments de récupération, lors desquels les employés ont la possibilité d’évacuer le stress associé à leur activité. Les chercheurs recommandent aux employés eux-mêmes d’être davantage conscients des conséquences du stress chronique et de l’impact qu’il peut avoir sur leur personnalité, et ainsi de tout mettre en œuvre pour tenter de mieux gérer leur stress au quotidien.
Par ailleurs, alors qu’une personne est généralement recrutée non seulement pour ses compétences, mais aussi pour sa personnalité — qui était jusqu’à présent considérée comme immuable — il s’avère que celle-ci est clairement malléable avec le temps ! Ces résultats remettent donc en question la pertinence de certaines méthodes de recrutement… Pour les auteurs de l’étude, les tests de personnalité peuvent encore être utilisés dans le processus d’embauche, mais ils devraient aussi être pratiqués régulièrement après le recrutement, pour s’assurer que l’employé est toujours adapté au poste qu’il occupe.
Mais comme le soulignent les deux chercheurs, il ne suffit pas de savoir que la personnalité peut changer en réponse en stress : il est essentiel de comprendre la façon dont ces changements se produisent, afin de déterminer les causes et les moments précis qui favorisent ces changements au sein de l’entreprise.
Ainsi, le modèle qu’ils proposent offre aux chercheurs des instructions sur la façon d’évaluer les changements physiologiques des employés, afin de mieux comprendre l’impact de leur perception du stress. Ces tests peuvent notamment être effectués en mesurant les taux de dopamine, de sérotonine ou de cortisol, dans des échantillons de sang, d’urine ou de salive. La personnalité des individus est décrite quant à elle selon le modèle des Big Five, qui repose sur cinq traits centraux, à savoir : l’ouverture à l’expérience, la conscienciosité, l’extraversion, l’agréabilité et le névrosisme.
En cartographiant ainsi la relation entre les systèmes neurologiques spécifiques et les différentes dimensions de la personnalité, le modèle proposé par Smallfield et Kluemper peut guider les chercheurs qui étudient les changements de personnalité dans les organisations, et peut aider à la mise en œuvre d’interventions ciblées et efficaces.