Le noyau interne de notre planète est considéré depuis des décennies comme une boule solide, principalement constituée de fer, entourée d’un noyau externe liquide. Mais de nouvelles recherches, menées par une équipe de l’Institut de géophysique et de planétologie d’Hawaï, suggèrent que cette « graine » dure n’est en réalité pas si homogène : elle serait constituée d’un mélange de métal solide et de métal semi-mou, voire liquide.
Le cœur de notre la planète n’a encore jamais été exploré et ne le sera sans doute jamais. Et pour cause, la chaleur et la pression qui y règnent sont tout simplement trop élevées pour que l’on envisage d’y envoyer une sonde. « À moins que quelque chose d’affreux n’arrive à notre planète, nous n’aurons jamais d’observation directe du noyau de la Terre », confirme Jessica Irving, sismologue à l’Université de Bristol. Ainsi, pour étudier le noyau terrestre et ses processus, les géophysiciens s’appuient sur les ondes sismiques générées par les tremblements de terre de la croûte et du manteau terrestres.
Ces ondes se présentent sous deux formes principales : les ondes de compression (ou ondes primaires) sont les plus rapides et se propagent dans tous les milieux ; les ondes de cisaillement (ou ondes secondaires) ne se propagent pas dans les milieux liquides. La vitesse et la trajectoire de ces deux types d’ondes varient en fonction des matériaux qu’elles rencontrent, de leur densité et de la température. C’est ainsi que les scientifiques ont pu déterminer la nature du noyau terrestre. Mais il apparaît aujourd’hui que les premières estimations sont à nuancer.
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Un noyau interne plutôt semi-solide et pâteux à sa surface
Le noyau de notre planète, principalement constitué de fer et de nickel, se compose de deux parties. Le noyau externe est liquide ; il est séparé du manteau par la discontinuité de Gutenberg à environ 2900 kilomètres de profondeur. Les mouvements de convection de fer fondu qui s’y produisent sont à l’origine du champ magnétique terrestre. Le noyau interne, quant à lui, est considéré depuis les années 1950 comme une boule solide, séparée du noyau externe par la discontinuité de Lehmann à environ 5100 kilomètres de profondeur. Il se compose d’un alliage de fer et de nickel, ainsi que d’autres éléments plus légers, et résulte de la solidification progressive du noyau externe.
Mais de récents éléments viennent remettre en question cette théorie. Rhett Butler, géophysicien à l’Institut de géophysique et de planétologie d’Hawaï, s’est aperçu d’une certaine anomalie dans les mesures sismiques. Alors qu’il examinait comment les ondes sismiques créées par de grands tremblements de terre, à cinq endroits différents du monde, traversaient le noyau terrestre jusqu’à l’exact opposé du globe, il a constaté que les données obtenues ne coïncidaient pas avec la nature supposée solide du noyau.
Cinq « trajets » d’ondes ont été examinés : des îles Tonga à l’Algérie, de Sulawesi à l’Amazonie, du nord du Chili à l’île de Hainan, et deux autres entre le centre du Chili et la Chine continentale. Pour chacun de ces diamètres terrestres, « une hétérogénéité spatiale et temporelle significative a été observée », notent les chercheurs dans leur étude, ce qui pouvait correspondre à la présence de réflecteurs importants situés dans le noyau interne supérieur.
Il apparaissait que les ondes de cisaillement des séismes, qui auraient dû traverser une solide boule de métal, étaient déviées dans certaines zones. Cette discontinuité, localisée à près de 100 kilomètres de profondeur dans le noyau interne a beaucoup surpris le spécialiste. Les mesures d’ondes sismiques étant correctes, le phénomène ne pouvait s’expliquer que par une méconnaissance de la structure du noyau. Butler et un collaborateur ont ainsi entrepris de réévaluer l’hypothèse de base selon laquelle le noyau interne de la Terre était complètement solide. À l’aide du superordinateur japonais Earth Simulator, ils ont alors découvert que les vagues d’ondes sismiques observées correspondaient davantage à un modèle de noyau comprenant des « poches » de fer semi-solide, liquide et « pâteux », près de sa surface.
Mieux comprendre les caractéristiques magnétiques des planètes
L’étude des deux spécialistes suggère que le noyau serait en réalité composé de fer de diverses consistances. « Contrairement aux alliages de fer homogènes et mous considérés dans tous les modèles terrestres du noyau interne depuis les années 1970, nos modèles suggèrent qu’il existe des régions adjacentes d’alliages de fer durs, mous et liquides, ou pâteux, dans les 240 kilomètres supérieurs du noyau interne », explique Butler, ajoutant que cela impose de nouvelles contraintes sur la composition, l’histoire thermique et l’évolution de la Terre.
Étant donné que le noyau terrestre est étroitement lié au champ magnétique de notre planète, cette recherche pourrait potentiellement révolutionner notre compréhension de ce champ magnétique ; elle fournit notamment de nouvelles informations sur la dynamique de la zone frontière entre le noyau interne et le noyau externe. En 2019, une étude avait d’ores et déjà mis en évidence le fait que le noyau interne contribue largement à modifier le champ magnétique — une inversion de la polarité du champ magnétique terrestre se produit en effet tous les 105 à 106 ans.
Mars étant une planète terrestre rocheuse comme la Terre, on pourrait supposer qu’elle affiche le même type de paradigme magnétique. Pourtant, les recherches ont montré que Mars possède bien un cœur liquide, mais qu’elle est en revanche dépourvue de noyau interne et de champ magnétique. Ainsi, plus globalement, ces nouveaux résultats pourraient aider les scientifiques à mieux comprendre la relation qui existe entre l’intérieur d’une planète et son activité magnétique. Ils prévoient à présent de modéliser la structure du noyau interne de façon plus détaillée à l’aide de l’Earth Simulator, puis de comparer cette structure à diverses caractéristiques du champ géomagnétique de la Terre.