Le sursaut gamma GRB 221009A a été détecté le 9 octobre 2022 par le télescope spatial Swift. Il fut exceptionnellement brillant et de longue durée (plus de dix heures !). L’événement était si puissant qu’il a saturé la majorité des détecteurs sur Terre et en orbite. Certains photons transportaient une énergie record de 18 TeV ! En tant que sursaut gamma le plus puissant jamais enregistré, il est désormais considéré comme un événement exceptionnel, qui n’arrive qu’une fois par millénaire.
Les sursauts gamma comptent parmi les événements les plus énergétiques de l’Univers. On pense qu’ils sont émis lors d’événements cataclysmiques liés à la mort d’une étoile, tels que l’effondrement gravitationnel d’une étoile géante formant un trou noir, ou la fusion des deux étoiles à neutrons d’un système binaire. On distingue principalement les sursauts gamma « courts », qui ne durent que quelques millisecondes à une ou deux secondes, et les sursauts « longs », qui peuvent durer plusieurs minutes. Les sursauts durant plusieurs heures, dits « ultra-longs », sont plus rares et continuent d’intriguer les scientifiques.
Si l’événement GRB 221009A intéresse tant les experts, c’est parce qu’il dépasse de loin tout ce qui a pu être détecté jusqu’à présent. « Pendant plusieurs secondes, la luminosité de GRB 221009A a dépassé celle de mille millions de milliards de soleils », a déclaré l’astrophysicien Jean-Luc Atteia, dans une interview du CNRS. Heureusement pour nous, la source de l’événement est localisée à environ 2,4 milliards d’années-lumière de la Terre. GRB 221009A est néanmoins l’un des sursauts gamma les plus proches jamais détectés. Des chercheurs ont examiné de près les données liées à ce GRB ; ils présentent leurs conclusions dans une série de trois articles, soumis à The Astrophysical Journal Letters et disponibles sur le serveur arXiv.
Un jet relativiste plus complexe que ce que prévoit la théorie
Le premier article (écrit par M. Williams et al.) présente l’analyse des courbes de lumière et des spectres aux longueurs d’onde X et UV/optique. L’événement a été enregistré par le télescope Swift, le MAXI (Monitor of All-sky X-ray Image) et la mission NICER (Neutron Star Interior Composition Explorer Mission) — entre autres nombreux télescopes terrestres et spatiaux. De par sa localisation relativement proche, les astronomes ont pu effectuer des observations prolongées de sa rémanence, pendant 73 jours au total.
Les auteurs rapportent « une rémanence X plus brillante d’un ordre de grandeur à T0 + 4500 s que n’importe quel autre GRB observé par Swift ». En effectuant une simulation de sursauts générés aléatoirement, ils ont constaté qu’un seul GRB long sur 10 000 était aussi énergétique que le GRB 221009A. « Nous estimons que les GRB aussi énergétiques et proches que le GRB 221009A se produisent à un taux inférieur à 1 sur 1000 ans – ce qui en fait une opportunité vraiment remarquable, peu susceptible de se répéter de notre vivant », conclut l’équipe.
Les données montrent par ailleurs que la courbe de lumière de la rémanence n’est pas bien décrite par la théorie standard de la « rémanence synchrotron ». On considère en effet que les sursauts gamma s’accompagnent d’un rayonnement synchrotron, qui se produit lorsque les électrons sont accélérés à des vitesses proches de la lumière selon une trajectoire courbe ou en spirale. L’étude de cette émission synchrotron permet aux astronomes de déterminer la forme de l’explosion et des jets relativistes.
Dans le cas de GRB 221009A, l’équipe pense que la structure du jet est plus complexe que prévu, ou que le sursaut n’est pas étroitement collimaté — ce qui aurait « de profondes implications pour le bilan énergétique de l’événement », précisent les chercheurs.
Des modèles de rayonnement synchrotron à revoir ?
Le deuxième article (écrit par T. Laskar et al.) repose sur des observations multi-longueurs d’onde de l’événement, couvrant 15 ordres de grandeur en termes d’énergie photonique, des ondes radio aux rayons gamma. Les auteurs suggèrent ici que la rémanence particulière de GRB 221009A peut être en partie expliquée par un « choc avant » provenant d’un jet relativiste fortement collimaté, interagissant avec un milieu de faible densité.
Mais les données radio et millimétriques suggèrent la présence d’une composante d’émission supplémentaire. « Nous trouvons que l’émission radio est probablement produite par une petite quantité de masse se déplaçant de manière relativiste avec une grande énergie cinétique », écrivent-ils. Mais encore une fois, les chercheurs constatent que l’évolution temporelle de cette composante ne suit pas les théories établies pour un rayonnement synchrotron.
Cela peut signifier, selon eux, que les modèles analytiques de base pour l’émission synchrotron doivent être modifiés de manière fondamentale. « Le GRB 221009A démontre clairement la nécessité de travaux théoriques supplémentaires pour comprendre pleinement les jets ultra-relativistes observés dans les longs GRB », concluent-ils.
Enfin, le troisième article (M. Shrestha et al.) s’est intéressé à la supernova associée à l’événement. Alors que certains GRB passés ont présenté des fluctuations dans leur courbe de lumière optique qui coïncident avec l’émergence de caractéristiques spectrales de supernova, les chercheurs n’ont détecté ici aucune de ces caractéristiques.
À l’aide de données correspondant à deux supernovas associées à des GRB largement étudiés, situés à une distance similaire à GRB 221009A, ils ont modélisé la manière dont l’émergence d’une supernova devrait en théorie affecter la courbe de lumière. « Nous n’observons pas de caractéristiques claires de supernova dans nos spectres, qui ont été pris autour de l’heure du maximum de lumière attendu », résument les auteurs. Cette absence de supernova brillante peut selon eux indiquer que l’énergie de l’explosion est principalement concentrée dans le jet.
L’étude de ce sursaut gamma exceptionnel a donc soulevé de nombreuses interrogations. Heureusement, GRB 221009A restera probablement détectable par les radiotélescopes pendant des années — la rémanence, pour le moment masquée par le Soleil, devrait réapparaître dès ce mois-ci — offrant de multiples occasions de suivre et de comprendre le cycle de vie complet de ce puissant jet relativiste.