Près de 11% de la population mondiale souffre du syndrome de l’intestin irritable, une maladie très handicapante au quotidien. Ce syndrome résulterait d’un déséquilibre au niveau du microbiote intestinal, qui entraînerait une modification de la perméabilité intestinale et des réactions inflammatoires. De ce fait, la greffe fécale est apparue comme un traitement potentiel. Un nouvel essai clinique confirme aujourd’hui que cette approche est efficace, y compris sur le long terme.
Le syndrome de l’intestin irritable (SII), également appelé « colopathie fonctionnelle », est une maladie bénigne, mais qui peut lourdement altérer la qualité de vie. Des douleurs abdominales chroniques, des troubles du transit (alternant constipation et diarrhée) et d’autres symptômes extradigestifs (céphalées, fatigue, douleurs musculaires, etc.) rythment le quotidien des malades. Parce que l’origine de ce syndrome est encore mal comprise, il n’existe à ce jour aucun traitement permettant d’en guérir.
Des études ont toutefois révélé que le microbiote des personnes atteintes de SII était déséquilibré : les « mauvaises » bactéries sont en surnombre (on parle de « dysbiose intestinale »). Repeupler les intestins avec un mélange plus sain de bactéries, via une greffe fécale, pourrait aider à rétablir l’équilibre et à atténuer les symptômes de la maladie. Une équipe de l’hôpital Stord, en Norvège, a entrepris de tester cette approche dans un essai clinique entamé il y a trois ans : près de deux tiers des participants à l’essai déclarent aujourd’hui bénéficier d’une meilleure qualité de vie.
Au moins 77% de patients soulagés au bout de trois mois
Quelques essais cliniques antérieurs ont montré que la greffe de microbiote fécal entraînait une réduction des symptômes du SII. Cependant, les effets indésirables de cette transplantation et son efficacité à long terme étaient jusqu’à présent inconnus ; d’autant plus que les précédentes études sur le sujet n’intégraient qu’un suivi d’un an au maximum. C’est pourquoi une équipe norvégienne a entrepris un suivi de plus longue durée, sur trois ans, dans un essai randomisé contrôlé par placebo.
L’essai a démarré en 2019. Le Dr Magdy El-Salhy et ses collègues de l’hôpital Stord ont recueilli les fèces d’un homme de 36 ans. Ce donneur était non-fumeur, en bonne santé, ne prenait aucun médicament et avait un IMC de 23,5 kg/m2. Sa mère a confirmé qu’il était né par voie vaginale, qu’il avait été allaité et qu’il n’avait été traité que trois fois avec des antibiotiques au cours de sa vie. Il prenait régulièrement des compléments alimentaires riches en protéines, vitamines, fibres et minéraux. Son microbiote a été jugé comme idéal pour la transplantation.
Les échantillons de selles de ce donneur ont été transférés dans l’intestin grêle de 87 patients atteints de SII modéré à sévère ; certains ont reçu 30 g de matières fécales, d’autres en ont reçu 60 g, tandis que 38 autres patients ont reçu une greffe de leurs propres matières fécales en guise de placebo. Aucun des participants ne savait quel type de fèces leur avait été transféré.
Au bout de trois mois, 76,9% et 89,1% des patients ayant bénéficié d’une greffe de 30 g et 60 g de matières fécales du donneur, respectivement, ont rapporté une diminution des symptômes, quelle que soit la gravité de leur SII (contre 23,6% des patients ayant reçu un placebo). Ces mêmes patients ont également rapporté une amélioration significative de la fatigue et de la qualité de vie. Seuls de légers symptômes gastro-intestinaux ont été signalés comme effets indésirables, mais se sont résorbés spontanément. Trois ans après la greffe, les résultats sont tout aussi encourageants.
Des symptômes toujours amoindris au bout de trois ans, chez au moins 65% des participants
Les participants à l’étude ont été interrogés sur leur état de santé, deux ans, puis trois ans après la transplantation de matières fécales. « Les taux de réponse étaient de 26,3%, 69,1% et 77,8% dans les groupes placebo, 30 g et 60 g, respectivement, 2 ans après la greffe, et de 27,0%, 64,9% et 71,8%, respectivement, 3 ans après la greffe », rapportent les chercheurs dans la revue Gastroenterology.
L’amélioration des symptômes était donc significativement plus élevée dans les groupes ayant reçu les fèces du donneur que dans le groupe placebo. Ces patients présentaient moins de symptômes du SII et de fatigue, et avaient une meilleure qualité de vie 2 et 3 ans après la greffe. L’indice de dysbiose (qui traduit le déséquilibre du microbiote) n’a diminué que dans les deux groupes ayant bénéficié du traitement. En comparant le microbiote des différents groupes de patients, l’équipe a pu identifier 10 bactéries ayant des corrélations significatives avec les symptômes du SII et la fatigue. Aucun événement indésirable à long terme n’a été enregistré.
Le Dr El-Sahly précise dans une interview que les personnes atteintes de SII sévère ont mieux répondu au traitement que celles présentant des symptômes modérés et que les femmes ont également mieux répondu à la greffe que les hommes. Par ailleurs, dix patients (5 ayant reçu 30 g et 5 ayant reçu 60 g de matières fécales) ayant rechuté au bout de trois ans ont bénéficié d’une nouvelle transplantation (de 90 g) : la plupart (80%) d’entre eux ont à nouveau montré des signes d’amélioration dès trois mois.
Si cette étude prouve que cette méthode s’avère efficace et apporte un confort durable, elle n’est malheureusement pas généralisable en raison des coûts qu’elle implique. Les scientifiques espèrent un jour réussir à isoler les bactéries bénéfiques de donneurs sains afin de les administrer aux malades sous forme de comprimés.